Dimanche 23 août 1846

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris)


d’André Auguste Duméril.

Lille dimanche 23 Août 1846, midi.

Je ne sais, ma chère maman, si tu auras reçu le billet au crayon que je t’ai adressé de Douai, après notre passage à Fampoux[1]. Je l’ai remis à un homme, employé du chemin de fer, et j’espère qu’en raison de la petite étrenne que je lui ai donnée, il aura tenu la promesse qu’il m’avait faite, de porter immédiatement la lettre à la poste. De Douai à Lille, notre voyage a continué à se faire de la manière la plus heureuse, et la plus agréable, quoique j’eusse un peu de mal à la tête, qui s’est promptement dissipé, après notre arrivée. Nous étions dans le débarcadère, à Lille, à 5 heures moins 1/4, où Mlle Béghin[2], qui était venue à notre rencontre, a pris Eugénie et Adèle[3], pour les amener chez Mme Vasseur[4], dans sa voiture. Théophile Vasseur, son frère Henri, Eugène Duméril et Joseph Fabre, étaient là aussi, et après m’être occupé des bagages, je suis revenu en ville, en voiture, avec Joseph et Théophile, car le débarcadère est bien à un bon ¼ d’heure des portes. Te dire l’accueil que nous avons reçu ici, et le bonheur qu’Eugénie a éprouvé à revoir tous ses parents, et à leur montrer sa fille, à laquelle on a aussitôt prodigué mille caresses, est chose difficile. Chacun ici s’occupe, à l’envi, de cette chère enfant, qui se croit là, comme chez elle : elle prend déjà des habitudes, et se montre extrêmement familière, sans excès, ce qui nous fait grand plaisir, car la sauvagerie déplaît toujours chez un enfant, et l’on est émerveillé. On a déjà fait à Eugénie force compliments sur cette petite mignonne, à laquelle on trouve un air très distingué. On trouve aussi bien bonne mine à Eugénie, qui est bien contente, je t’assure. Aussi, comprenons-nous parfaitement comment, pour vous tous, à Paris, notre départ doit vous faire éprouver un vide, qui ne peut pas être le même pour nous, en raison des distractions continuelles que nous apporte notre nouveau genre de vie. Eugénie, en me chargeant de t’embrasser et de te remercier beaucoup, pour toute la complaisance que tu as mise à nous aider, vendredi, me recommande bien de te dire qu’elle a retrouvé, dans sa caisse, les manches de robe, pour Adèle, qu’elle croyait égarées. Elle ne se joint pas à moi aujourd’hui, pour écrire, parce qu’elle va endormir sa petite, et que tout de suite après, nous irons chez Mme Fabre[5], chez Mme Declercq[6], chez Mme Valéry Cumont[7], à la campagne, et, en même temps, chez Mme Lethierry[8], mère de Mme Virnot[9], et dont la campagne est voisine de celle de M. Cumont. Cette dernière, (Mme Virnot) est venue tout à l’heure, avec son mari et ses enfants, nous faire visite.

Nous avons été, hier au soir, chez Mme Declercq, où nous avons appris, d’une manière officielle, le mariage de Clémentine, avec M. Devot, ingénieur civil, et que connaissent beaucoup M. et Mme Lamarle, qui ont fait ce mariage. Nous avons vu ce jeune homme, il paraît avoir 28 à 30 ans[10], et qui semble fort bien. Clémentine est très heureuse, à ce qu’il paraît, d’après ce qu’elle a dit à Eugénie. Le père de ce jeune homme n’a pas de fortune (il a perdu celle qu’il avait) mais le futur a, nous dit-on, une bonne position.

J’ai demandé à Mme Declercq la permission de t’apprendre ce mariage, qu’elle m’a chargé de t’annoncer. Il aura lieu le 28 Septembre, et, comme notre retour à Lille, après notre voyage en Belgique, et sur les bords du Rhin, devait avoir lieu à peu près à cette époque, nous ne pourrons pas ne pas assister à ce second mariage.

Quant à Éléonore[11], elle nous semble très contente : elle n’a pas mauvaise mine : Eugénie n’a pas encore pu causer avec elle en particulier. Je lui ai remis la lettre de Félicité[12]. Charles[13] continue à être mieux. Nous avons été, Eugénie et moi, bien péniblement affectés du changement de Mme Esther, qui est maigre, pâle, et même jaune : il me semble qu’il doit y avoir quelque chose de compromis dans sa santé. Il ne faut pas qu’en écrivant à Lille, de la rue St Victor, on parle de notre impression. Tu vois que je te donne le plus de détails que je peux, parce que je pense que cela intéressera aussi chez Félicité. Je me reproche cependant d’avoir usé autant de papier, sans t’avoir encore dit combien nous avons été peinés, Eugénie et moi, de te laisser si mal en train : nous avons bien pensé à toi, mais nous nous disions que, puisque c’était une digestion manquée, il y avait tout lieu d’espérer que tu te serais sentie de mieux en mieux, à mesure que la journée aurait avancé, et nous aimons croire que nous ne nous sommes pas trompés dans notre prévision, mais nous sommes bien impatients de recevoir la lettre que papa[14] a dû nous écrire aujourd’hui.

Nous sommes contents de penser que ce soir, vous serez tous réunis en famille, chez Constant[15]. Demain nous dînons, à l’heure ordinaire, chez Mme Declercq, et mardi, à une heure, chez Mme Virnot. Dis, je te prie, à ma tante[16], que nous n’avons pas trouvé Mme Declercq changée, à beaucoup près autant que nous nous y attendions.

Nous avons bien pensé hier à M. Malard, jusqu’à 3 heures : j’espère qu’en nous écrivant, tu nous diras s’il a été satisfait : il sait tout le vif intérêt et l’affection que nous lui portons ; nous lui envoyons nos amitiés.

J’oubliais de te dire que notre voyage ne nous a vraiment pas le moins du monde fatigués. Adèle a été sage, et ne s’est pas ennuyée. Elle mange mieux ici qu’à Paris. Hier, nous avons pu manger un peu à Amiens, mais si à la hâte, que nous avons dû finir en voiture.

Les marges sont tellement remplies, qu’il me reste à peine assez de place pour te dire adieu ; il m’en reste assez cependant, pour que papa et toi puissiez trouver ici la bien sincère expression de nos sentiments affectueux, et pour te prier de transmettre le témoignage de notre affection, à la rue St Victor.

Nous serons bien contents, quand tu pourras nous écrire.


Notes

  1. La commune de Fampoux (Pas-de-Calais), entre Douai et Arras, est desservie depuis peu par le chemin de fer.
  2. Clara Béghin.
  3. Auguste Duméril voyage avec sa femme Eugénie et leur fille Adèle (née en 1844).
  4. Fidéline Cumont, épouse de Théoplile (Charles) Vasseur, mère de Théophile (Léonard) et Henri Vasseur.
  5. Alexandra van Blarenberghe, fille de l'entreposeur des tabacs à Lille (décédé en 1842), épouse de Joseph Auguste Fabre.
  6. Césarine Cumont, épouse de Guillaume Declercq, mère de Clémentine et Charles.
  7. Esther Le Lièvre, épouse de Valéry Cumont.
  8. Julie Marie Barrois, épouse d’Adolphe Joseph Le Thierry.
  9. Adèle Catherine Le Thierry, épouse de Victor Dominique Virnot, mère de Urbain Dominique (né en 1837) et de Julie Jeanne (née en 1839).
  10. Félix Devot est né en 1817.
  11. Éléonore Vasseur, fille de Léonard et d’Angélique Cumont, qui va épouser André Fröhlich.
  12. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril, habite rue Saint Victor.
  13. Charles Declercq.
  14. André Marie Constant Duméril.
  15. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  16. Alexandrine Cumont, épouse d’Auguste Duméril l’aîné.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Voyage à Lille, à l’époque du mariage d’Eléonore, et en Belgique. Détails sur la dysenterie d’Adèle. 1846 », p. 410-415

Pour citer cette page

« Dimanche 23 août 1846. Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_23_ao%C3%BBt_1846&oldid=57796 (accédée le 5 octobre 2024).

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