Jeudi 9 février 1865
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)
9 Février 65
Ma chère petite Gla,
Ta lettre arrive ; à la bonne heure[1] je suis contente, voilà des nouvelles. Pauvre enfant ! que je te plains ! Quelle aventure, pour une malheureuse coiffure. C’est indigne à <Randon>, le coiffeur ordinaire de sa Majesté doit être changé ! Mais as-tu fini par te faire coiffer ou as-tu mis simplement une coiffure sur ta tête ? Ta robe était-elle bien et encore assez fraîche du blanc ? Je n’ai pas compris le volant visible devant seulement ? Et ta robe de velours est-ce pour mettre chez toi ? Comment seras-tu ? est-ce que tu comptes montrer tes épaules ? on me demande de faire le lit de la petite Marie (c’est le poupard que maman a apporté, les amours de Founichon[2]), ici on joue ; on prend des leçons et on ne voit personne. C’est à un tel point qu’il faut que je trouve le temps de lire, car on n’est au courant de rien. Mes enfants[3] sont ma < > distraction et les < > monde sont loin de nous, car il y a eu tant de morts à Thann[4], et les affaires sont trop peu <belles> généralement pour qu’il y ait des fêtes, aussi vivons-nous comme de véritables ours dans leur tanière, bonne tanière qui est toute ornée de fleurs et où on fait de la musique (flûte et piano avec Georges[5]), où on tricote <des bas> (tu vois que je deviens alsacienne) et où le soir on prend un <cours> d’allemand avec son mari, enfin on a bonne intention mais on ne fait pas grand chose.
Pardon mais je vais vider le pot, mon nez me dit que je ne dois pas faire plus attendre Mimi qui me réclame…
3 h
Je reprends la plume, habiller les filles, me coiffer, dîner, aller au jardin avec les mioches malgré la neige, commander < > et voilà l’heure de la poste encore passée sans que j’aie pu terminer ce griffonnage. Cécile[6] est au pays, il y a eu presque incendie chez ses parents et je l’ai envoyée voir sa mère. J’ai donc mes chéries à moi toute seule, elles couchent dans notre chambre ; va, je suis bien gardée, les 3 lits entourent le <mien, il faut> que j’escalade pour me coucher, vraie gymnastique, mais ce sont mes seules distractions que la joie de chacun de câliner maman car je ne vois personne et n’entends rien de ce qui se passe dans le monde, les livres, les journaux ne manquent pas, mais le temps !
Ne te préoccupe pas de tes réceptions, ça va très bien, et les dispositions que tu as prises me paraissent fort bonnes. Donne-moi encore des détails, tout cela m’intéresse et m’amuse, tu sais j’aime toujours à entendre parler du Jardin des Plantes et des savants même en dehors de ceux que j’aime particulièrement.
Mardi ma cuisinière part et Mercredi arrive la brave Nanette[7] que maman connaît, celle qui aura l’honneur de < > tes dîners à Pâques. Mimi se dispose à grimper sur le dos d’oncle Alphonse[8] à ce qu’elle dit. Que Cécile Dumas[9] ne vous joue pas la farce qui arrive à nos voisins. Depuis Noël on attend un baby qui se fait si bien attendre que le Carême va arriver avant que Mlle Julie[10] soit mariée, le futur, qui est le frère de M. Berger[11] est ici depuis le 1er Décembre et attend que sa belle-sœur soit remise pour se marier, tu juges comme ils sont ennuyés ! Que Cécile ne nous joue pas le même tour en nous privant de votre visite.
Je vois que Maman[12] passe un bon hiver puisqu’elle sort à toute heure. Sa dernière lettre m’a fait comme toujours bien plaisir, je l’embrasse bien fort. Puisqu’elle a bien voulu s’occuper de la cage elle serait bien aimable de nous expédier la plus grande celle de 113 F avec pied si vous la trouvez bien, à moins que les rondes de même taille vous paraissent mieux. Joignez-y deux nids pour couver, < > confortable pour les petits oiseaux.
Adieu, ma Gla chérie, je t’embrasse comme je t’aime, ce n’est pas peu. Je suis bien contente de savoir que tu vas bien, car ici il y a eu encore une jeune femme qui est morte la semaine dernière à la suite de couches. Pauvre M. Delapalme[13], comme il a dû souffrir encore en voyant sa petite fille malade.
Quelle est la position de Julien[14] dans sa classe ? On ne nous en dit rien. Le jeune homme à l’occasion pourra m’acheter un atlas des Meissas et Michelot[15] le petit format seulement 7 cartes pour Mimi, mappemonde, Europe, Asie, Afrique, Amérique, Océanie et France.
Midi Vendredi
Rien de neuf.
Nous vous embrassons et nous aimerions à vous voir.
Ecris-moi. Je penserai à toi demain. Dans quel en l’air tu dois être.
Cécile est revenue.
Il fait très froid. Il neige.
J’embrasse encore maman.
Notes
- ↑ Eugénie écrit : « bonheur ».
- ↑ Founichon, Emilie Mertzdorff, fille de Charles.
- ↑ Emilie et sa sœur aînée Marie (Mimi) Mertzdorff.
- ↑ Morts dues à l’épidémie de choléra.
- ↑ Georges Léon Heuchel.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Nanette (Annette), domestique chez les Mertzdorff.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards, époux d’Aglaé Desnoyers.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Julie André, qui va épouser Léonce Berger.
- ↑ Louis Berger, frère de Léonce et époux de Joséphine André.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Emile Delapalme, veuf d’Amélie Desmanèches et père de Geneviève.
- ↑ Julien Desnoyers, jeune frère d’Eugénie et Aglaé.
- ↑ Achille Meissas (1799-1874) et Auguste Michelot (1792-1854) ont publié de nombreux atlas et livres de géographie, dont le Petit atlas élémentaire, Hachette, 1857.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 9 février 1865. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_9_f%C3%A9vrier_1865&oldid=40176 (accédée le 15 novembre 2024).
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