Jeudi 2 septembre 1886

De Une correspondance familiale

Lettre d’Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Allevard) à sa nièce Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (en villégiature au bord de la mer)


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Allevard 2 Septembre[1]

Ma chère petite fille,

Ta lettre est arrivée hier, au moment où ton oncle[2] était absent ; non qu’il fût à la fête de M. Chevreul[3], mais bien dans la montagne. Ces grandes excursions ont tant de charmes, et font tant de bien à nos trois grands marcheurs, que presque tous les jours on en fait une nouvelle. Je ne crois pas t’avoir écrit depuis la grande ascension du Puygris[4] ; faite Lundi ; on était parti à 4h du matin par un ciel étoilé, et un petit jour naissant, qui rendaient tout charmant ; on avait dans la voitures des selles car on devait faire la 2e partie de la course à cheval, puis la 3e à pied. Le but du voyage était de monter au glacier du gleysin[5], mais l’herbe tendre, le ciel bleu, le bon état des pieds, et l’enthousiasme général, et surtout l’assurance du guide que Marthe[6] pouvait monter au Puygris, et qu’il « répondait de la demoiselle », a fait ajouter cette grande ascension au premier projet. Il paraît qu’elle est difficile, et que Marthe est la seconde dame qui l’a faite ; tu comprends le plaisir !! Du sommet, la vue est splendide, et elle était ce jour-là d’une grande pureté ; on grimpe au milieu de blocs [remuants] qu’il faut avoir soin de ne pas faire ébouler, et la pente est des plus raides ; mais [Barroz[7]] est un excellent guide qui conduit parfaitement son monde. Tout a été très bien jusqu’à Curtillard, endroit où la voiture attendait ; mais c’était là que devait commencer un fort orage au moment où la nuit arrivait ; pour comble de malheur, le cocher avait oublié ses lanternes ; il était impossible de se confier, dans des chemins qui côtoient la montagne et tournent très brusquement, à un cocher qui n’y voyait pas clair.

Heureusement que personne n’était fatigué, et qu’on a de suite pris le parti le plus sage. Le guide emprunte une lanterne dans un chalet et marche devant nos voyageurs, qui reviennent à pieds, sans parapluie, par une averse qui ne cesse de tomber ; mais ils étaient enchantés et nous arrivaient très satisfaits à 10h moins ¼ après avoir marché onze heures ½. Vite nous dînons puis chacun se couche tout en flânant ; car on avait tant à raconter, qu’à onze heures 1/2 Marthe était encore au salon. Hier, on est encore parti à 4h du matin, mais sans guide, pour monter au crêt du poulet[8] ; mais là encore on a fait l’école buissonnière, on a gagné le grand rocher et on est revenu à 5h.

Adieu, ma bonne fille chérie, crois à ma tendre amitié.

AME

Embrasse pour moi Jeanne, Robert et Charles[9].

Mille choses aimables à Marcel[10].

Chacun ici vous envoie mille amitiés.

Rappelle-nous aux bons souvenirs de M. et Mme Villermé[11].

Notes

  1. Lettre sur papier-deuil.
  2. Alphonse Milne-Edwards.
  3. Hypothèse : Eugène Chevreul, ancien directeur du Muséum.
  4. Le Puy Gris culmine à 2 900 mètres.
  5. Le glacier de Gleyzin a presque disparu de nos jours.
  6. Marthe Pavet de Courteille.
  7. Baroz est le nom d’une famille de guides.
  8. Crêt du Poulet : 1 700 mètres.
  9. Jeanne, Robert et Charles de Fréville, les trois enfants de Marie.
  10. Marcel de Fréville.
  11. Louis Villermé et son épouse Antonie du Moulin de La Fontenelle.

Notice bibliographique

D’après l’original.


Pour citer cette page

« Jeudi 2 septembre 1886. Lettre d’Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Allevard) à sa nièce Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (en villégiature au bord de la mer) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_2_septembre_1886&oldid=51388 (accédée le 9 décembre 2024).

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