Jeudi 27 avril 1843 (B)
Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris)
d’André Auguste Duméril.
Lille 27 Avril 1843.
Nous voici, ma chère maman, retombés dans tous les ennuis et toutes les tribulations de l’année dernière. Ma tante[1], après avoir soulevé, ce matin, une discussion sur la différence de religion, et avoir dit qu’à part ce point, elle n’a rien à me reprocher, elle l’a renouvelé tout à l’heure, et a pris prétexte qu’en rentrant dans la salle, elle nous a vus, Eugénie et moi, qui y étions avec mon oncle[2], avec une apparence de gaîté. De là, reproches et prédictions funestes à Eugénie, qui ne craint pas de mettre une certaine fermeté dans les réponses qu’elle fait à ma tante, qui rabâche constamment qu’elle n’a pas donné son consentement, puis forcée de reconnaître qu’elle l’a vraiment donné, elle dit l’avoir rétracté. Toutes ces choses sont trop sottes et trop pénibles à entendre, pour que je me donne la peine de te les répéter ; d’ailleurs Constant[3] pourrait, s’il le voulait, te donner une représentation complète, qu’il faudrait qu’il eût soin d’accompagner de torrents de larmes et de citations des commandements de Dieu et de l’Eglise, car il me semblait vraiment entendre absolument les mêmes choses que cet été. Il y a cependant cette année une petite innovation, qui ne laisse pas d’être fort agréable pour moi ; c’est la répétition, à satiété, que je ne gagne pas les 3 000 F dont il avait été question. A cela je réponds, comme je me l’étais promis, que c’est mon oncle qui a décidé la chose, et que moi, je n’y suis pour rien. Cette pauvre Eugénie a la bonté de s’attrister de tout cela pour moi, mais j’ai le bonheur de voir qu’il y a cependant en elle une certaine satisfaction intérieure, qui lui donne la force, pour supporter toutes ces bourrasques et ces accès de folie, car comment nommer cette incompréhensible manière d’être. Nous avons eu quelques bons petits moments d’entretien, et puis c’est une grande satisfaction de se voir, mais, en vérité, si l’état de ma tante continue ainsi, je partirai demain ou samedi, mais je crains de peiner mon oncle, qui est bien attristé de tout cela. Je le trouve bien fatigué. Oh que je voudrais que le 15 Mai fût déjà dernière nous !
Je suis allé, ce matin, avec mon oncle, à l’Hôtel de Flandre, sur la place St Martin (il n’y a pas de places à l’Hôtel de Gand). Nous avons vu, au rez-de-chaussée, une grande et jolie chambre, donnant sur une cour, avec deux lits ; mon oncle m’a chargé de te demander si vous préfèreriez deux chambres séparées, écris-le-moi donc, pour que mon oncle puisse s’entendre d’une manière définitive avec le maître de l’hôtel. Je joins ici un acte de la mairie, nécessaire pour que les affiches puissent être mises à Paris. Je prie donc Constant ou papa[4] de vouloir bien s’occuper de cela, de manière à ce que l’on soit positivement certain que l’on nous affichera le dimanche 30. C’est ce matin qu’a eu lieu la petite cérémonie chez le curé de Saint-Maurice[5] : elle s’est très bien passée. Eugénie y était avec son père, et il y avait quatre témoins : M.M. Declercq[6], Valery[7], Decamps père et Parvillez[8]. Eugénie a fait sa promesse sans trop de préoccupation. C’est hier soir que j’ai offert tes cadeaux et les miens. Eugénie y a paru très sensible. Tout a été trouvé charmant, par tout le monde, même par ma tante, qui, hier au soir, était fort bien. Cette dernière trouve seulement qu’un cachemire français aurait été tout aussi bien.
Félicité[9], qui était très fatiguée hier au soir, est très bien ce matin. Léon est un peu agité : on va le calmer par un bain. Caroline est très bien. Pourvu que Félicité ne se laisse pas trop préoccuper par cette agitation de sa mère. L’appartement sera retenu pour le 10, mais mon oncle s’attendra bien à ne vous voir arriver que le 11.
Je me porte parfaitement bien ; je tâche de profiter autant que possible des moments que je passe auprès de ma chère cousine, et de ne pas me laisser trop préoccuper par cet état de ma tante, qui rend cependant encore à ce voyage-ci ma position bien fausse.
Si tu m’écrivais demain vendredi, adresse-moi, je te prie, ta lettre rue A Fiens n° 1, chez M. Declercq, parce que je ne voudrais pas, si j’étais parti, que cette lettre tombât sous la main de ma tante, qui, selon sa louable habitude, la lirait.
Adieu, ma chère et bonne maman, je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que papa et Constant, à qui Félicité compte écrire demain.
Ton bien affectionné fils
A Aug. Duméril.
Notes
- ↑ Alexandrine Cumont, mère d’Eugénie, opposée au mariage de sa fille avec son cousin Auguste Duméril.
- ↑ Auguste Duméril l’aîné, père d’Eugénie.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril, le frère d’Auguste, est l’époux de la sœur d’Eugénie, Félicité.
- ↑ André Marie Constant Duméril.
- ↑ Le curé doyen de Saint-Maurice à Lille est Auguste Deleruyelle.
- ↑ Guillaume Declercq, époux de Césarine Cumont, oncle d’Auguste, chez lequel celui-ci réside.
- ↑ Valéry Cumont, oncle d’Auguste.
- ↑ Probablement Jean Baptiste Parvillez, négociant lillois.
- ↑ Félicité Duméril, sœur d’Eugénie, accompagne son beau-frère Auguste à Lille, avec ses enfants, Léon (3 ans) et Caroline (7 ans).
Notice bibliographique
D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, p. 374-378
Pour citer cette page
« Jeudi 27 avril 1843 (B). Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_27_avril_1843_(B)&oldid=59253 (accédée le 15 novembre 2024).
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