Jeudi 1er septembre 1842 (A)
Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa sœur Eugénie (Lille)
Pour Eugénie de Mme Félicité Duméril.
Paris 1er Septembre 1842.
Tranquillise-toi et réjouis-toi, mon excellente Eugénie : tes craintes et ta délicatesse doivent être en repos. Jamais aucune femme n’a été plus connue, plus appréciée, et n’a inspiré à un honnête homme un attachement plus tendre, que celui que te porte Auguste[2]. Ta lettre, que j’ai reçue hier, et qui est un modèle de sensibilité, de tact, et de délicatesse, m’a fait un plaisir infini : je me suis dit que dans les circonstances présentes, et après la triste connaissance qu’on avait eue des moments pénibles dont nous avons été témoins, il était de mon devoir de communiquer ta lettre à nos parents et à Auguste. L’effet qu’elle a produit sur eux a été tel que je le pensais : mon oncle et ma tante[3] ont été vivement touchés des marques de ta grande délicatesse, et de la manière dont tu présentes les choses : ils m’ont dit, à plusieurs reprises, que tu serais pour eux une véritable fille, qu’ils aiment déjà de tout leur cœur : mon oncle a ajouté que, connaissant le caractère de notre mère[4], il ne lui est pas venu une seule fois à l’esprit que la demande de ce mariage n’aurait pas dû se faire : lui et ma tante t’assurent déjà de leur tendresse, et voudraient être arrivés au moment où ils auront le bonheur de te nommer leur fille, et de te traiter comme telle. Il m’est bien doux, mon excellente Eugénie, de te donner ces détails, et d’avoir eu la permission de notre bon père de te faire connaître ce qui se passe ici : cette permission, que tu as obtenue, m’autorise à te mettre sous les yeux une partie des idées que contient une lettre que ton futur mari a écrite la veille de notre départ : il aurait donné mille choses pour t’en parler de vive voix, mais ne l’ayant pas pu, il s’est, au moins, un peu calmé, en mettant sur le papier ses pensées, qui étaient toutes relatives à toi. Cette lettre, qu’il a gardée si soigneusement, et qui n’aurait dû être connue que de toi seule, il nous l’a confiée hier soir, à Constant[5] et à moi : ce dépôt précieux, que je tiens dans les mains, détruit toutes tes craintes, montre les sentiments élevés de l’homme auquel tu uniras ton sort, et il est la preuve d’un amour, basé sur la plus grande estime : forte de l’autorisation de mon père, je puis t’en envoyer les passages que tu vas lire.
Lettre entière page 221 en date du 26 août 1842 au soir.
- « Les scènes si pénibles pour vous, qui se sont passées pendant mon séjour auprès de vous, ma bonne Eugénie, me font éprouver le besoin de venir causer quelques instants avec vous, malgré la défense qui m’a été faite de vous écrire. Je n’hésite pas à le faire, pour cette fois seulement, parce qu’un honnête homme, fiancé avec le consentement des parents, ne saurait mal faire, en s’adressant à celle qu’il a juré de prendre pour femme. Si je n’avais pas eu le bonheur d’avoir avec vous une de ces conversations qui rendent si heureux lorsqu’on s’aime, je serais reparti sans avoir pu échanger quelques bonnes paroles. Oui, ma bonne Eugénie, alors même alors que j’eusse prévu les terribles scènes que nous a faites votre mère, je vous aurais demandée en mariage : n’ayez aucun doute à cet égard, et je n’éprouve pas le moindre regret de l’avoir fait. Persuadez-vous donc bien qu’aujourd’hui, je suis aussi parfaitement satisfait de vous avoir obtenue, que je l’ai été le jour où votre père m’a répondu, en son nom et en un autre nom, quoiqu’on puisse dire. N’y a-t-il pas là, je vous le demande, une garantie de bonheur, que de pouvoir être l’un à l’autre, après tant de tristesse et de chagrins. Je suis bien malheureux de n’être point en position de me marier maintenant, mais, je vous l’ai dit, les circonstances ont fait que j’ai dû vous demander, avant d’être encore en position de le faire : je fais les vœux les plus ardents pour que cette époque arrive le plus tôt possible. Il ne faut pas se le dissimuler cependant : quelle que soit l’ardeur que je mettrai à mon travail, les circonstances peuvent ne pas nous être favorables. J’ai cependant foi en mon étoile. Cette étoile est une espèce de protection dont j’ai presque toujours été entouré dans ce que j’ai entrepris jusqu’ici : elle ne pas fait faux bond, lorsque j’ai éprouvé la joie de voir ma demande accueillie par vos parents, mais surtout par vous, car j’ai trouvé là une certitude de bonheur : je n’osais espérer, et vous avez comblé mes vœux les plus ardents. J’aime à espérer que cette union ne sera pas trop éloignée. L’espérance soutient dans le malheur : espérez donc un peu de joie de la tendresse que vous porte et que vous portera votre mari, si désireux de vous rendre aussi heureuse qu’il lui sera possible : espérez-en aussi de la tendre affection de votre beau-père et de votre belle-mère. Ce que je tiens à vous redire surtout, c’est qu’à part le chagrin que nous a causé votre mère, je quitte Lille parfaitement heureux, puisque j’emporte la certitude de votre affection : vous savez quelle est la mienne : vivons donc dans l’espérance, ma douce amie, du bonheur : qu’il vienne tôt ou tard, il n’en viendra pas moins. Permettez donc qu’avec la franchise d’un futur mari, je vous renouvelle l’assurance de ma vive tendresse : elle a au reste assez de force dans mon cœur, pour que je la désigne par le mot d’amour. »
Eh bien, ma chère Eugénie, te voilà tranquille et heureuse : la lettre d’Auguste renferme tout ce qu’un cœur tendre et délicat, comme le tien, peut désirer : je me suis bornée à t’en envoyer les principaux passages : le reste est plein d’affection, comme ce que je viens de copier : puisse notre bon père juger un jour notre belle-mère comme elle le mérite, car, je te le répète encore ici, ma bonne Eugénie, nulle femme ne possède, pour les siens, un plus tendre attachement, et un dévouement plus absolu. Constant, qui t’aime de tout son cœur, et qui te fait mille amitiés, me recommande bien de te dire que la réserve qu’Auguste a montrée était commandée par les circonstances, et qu’il a beaucoup souffert de renfermer ainsi ses impressions. Au revoir, ma bonne Eugénie : je suis bien heureuse de songer à ton repos d’esprit, qui t’est donné par la lettre que je t’envoie ; je suis heureuse aussi en pensant au calme survenu chez notre mère : tâche maintenant de la maintenir dans cette bonne disposition ; puisse aussi notre bon père éprouver de la tranquillité et une douce satisfaction ! Je te quitte ici, en t’embrassant de toutes mes forces, ainsi que notre excellente Eléonore. Nous nous portons tous à merveille et te prions de te bien soigner.
Je reçois, à l’instant, la lettre de papa, qui me fait bien plaisir ; je voudrais bien, ma chère Eugénie, qu’on fît venir le plus tôt possible, à la maison, la mère d’Hortense[6] : Mme Bibron serait fort reconnaissante si elle recevait une réponse un peu prompte ; si maman ne peut pas m’écrire, tu pourrais le faire toi-même, pour me répondre à ce sujet. Encore une fois adieu.
Ta dernière lettre n’était pas bien cachetée, il aurait été facile de l’ouvrir : je te le dis pour que tu y fasses attention une autre fois.
Notes
- ↑ La cousine Eléonore Vasseur, un des enfants d’Angélique Cumont et de Léonard Vasseur, sert d’intermédiaire.
- ↑ Auguste Duméril, fiancé d’Eugénie.
- ↑ André Marie Constant Duméril et Alphonsine Delaroche, beaux-parents de Félicité, qui sont aussi ses oncle et tante.
- ↑ Alexandrine Cumont, épouse d’Auguste Duméril l’aîné.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Domestique.
Notice bibliographique
D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p. 188-194
Pour citer cette page
« Jeudi 1er septembre 1842 (A). Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa sœur Eugénie (Lille) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_1er_septembre_1842_(A)&oldid=43067 (accédée le 18 décembre 2024).
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