Vendredi 26 août 1842 (B)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à sa cousine Eugénie (Lille)

livre de copies n°6, intertitre page 220.jpg lettre du 26 août 1842(B) recopiée livre 6 page 221.jpg lettre du 26 août 1842(B) recopiée livre 6 page 222.jpg lettre du 26 août 1842(B) recopiée livre 6 page 223.jpg lettre du 26 août 1842(B) recopiée livre 6 page 224.jpg lettre du 26 août 1842(B) recopiée livre 6 page 225.jpg lettre du 26 août 1842(B) recopiée livre 6 page 226.jpg


d’Auguste à Eugénie

26 Août 1842, au soir.

Les scènes si pénibles pour vous, qui se sont passées pendant mon séjour auprès de vous, ma bonne Eugénie, me font éprouver le besoin de venir causer quelques instants avec vous. Malgré la défense qui m’a été faite de vous écrire, je n’hésite pas à le faire, pour cette fois seulement, parce qu’un honnête homme, fiancé avec le consentement des parents, ne saurait mal faire, en s’adressant à celle qu’il a juré de prendre pour femme. La persévérance mise à empêcher tout entretien particulier, a si bien réussi, que si je n’avais pas eu le bonheur d’avoir avec vous une de ces conversations qui rendent si heureux, lorsqu’on s’aime, je serais reparti sans avoir pu échanger quelques bonnes paroles.

C’est sous les yeux de votre père, de notre cher Auguste, et de cette Félicité[1] si parfaite, que cette conversation a eu lieu, destinée à nous donner la liberté d’échanger nos pensées intimes : elle était parfaitement permise. Ici, je veux remplacer une seconde conversation, mais elle perd bien de son charme pour moi, puisque je n’ai pas en vous parlant le bonheur d’entendre votre voix me répondre, cette voix qui m’a dit de si bonnes paroles dont j’emporte un bien précieux et bien doux souvenir. Oui, ma bonne Eugénie, alors même que j’eusse prévu les terribles scènes que nous a faites votre mère[2], je vous aurais demandée en mariage : n’ayez aucun doute à cet égard, et je n’éprouve pas le moindre regret à l’avoir fait. Tant de discussions analogues ont eu lieu à l’époque du mariage de Constant[3], que je pouvais bien supposer qu’il en pourrait arriver autant à propos du mien. Persuadez-vous donc bien qu’aujourd’hui, je suis aussi parfaitement satisfait de vous avoir obtenue que je l’ai été le jour où votre père m’a répondu en son nom et en un autre nom, quoi qu’on en puisse dire. N’y a-t-il pas là, je vous le demande, une garantie de bonheur, que de pouvoir être l’un à l’autre, après tant de tristesses et de chagrins ! Je suis bien malheureux de n’être point en position de pouvoir vous soustraire à cette triste existence, mais je vous l’ai dit, les circonstances ont fait que j’ai dû vous demander, avant d’être encore en position de me marier ; mais je fais les vœux les plus ardents pour que cette époque arrive le plus tôt possible, car elle sera le terme de votre triste vie de jeune fille. Il ne faut pas se le dissimuler cependant, quelle que soit l’ardeur que je mettrai à mon travail, les circonstances peuvent ne pas nous être favorables. J’ai cependant foi en mon étoile. Cette étoile est une espèce de protection, dont j’ai presque toujours été entouré, dans ce que j’ai entrepris jusqu’ici : elle ne m’a certes pas fait faux bond lorsque j’ai éprouvé la joie de voir ma demande accueillie par vos parents, mais surtout par vous, car j’ai trouvé là une certitude de bonheur. Je n’osais espérer, et vous avez comblé mes vœux les plus ardents. Depuis un an, j’étais bien vivement préoccupé de l’idée que si cette bonne cousine, si distinguée par les qualités du cœur et de l’esprit, voulait bien de moi pour son mari, ce serait un bien grand bonheur pour moi. La faveur du ciel permet qu’elle consent à m’agréer, quand tant de motifs pouvaient me faire craindre un refus, soit d’elle, soit surtout de ses parents. J’aime donc à espérer que cette union ne sera pas trop éloignée. Si elle doit l’être encore, je vous plains d’avoir à passer votre vie si tristement. L’espérance soutient dans le malheur : espérez donc un peu de joie de la tendresse que vous porte et que vous portera votre mari, si désireux de vous rendre aussi heureuse qu’il lui sera possible ; espérez-en aussi de la tendre affection de votre beau-père et de votre belle-mère. Vous m’aviez prévenu que j’entendrais dire du mal de vous : une bouche qui n’aurait jamais dû prononcer de semblables choses, n’a pas craint de vous calomnier, pour distraire l’affection que je vous ai vouée. Mais j’attache à cela tant d’importance, que je ne vous en eusse même pas parlé, si je n’avais voulu vous faire voir que mon silence n’était motivé par aucune créance à ce qui a pu être dit. Non, ma bien chère Eugénie, ne supposez pas que mon oreille se soit ouverte à la calomnie. Alors même que je n’eusse pas su précédemment ce qui avait pu donner lieu à de semblables propos, les quelques mots que vous m’en avez dit vous-même, et la franchise de votre charmant regard, n’auraient pu me laisser aucun doute.

L’heure avance, et je vous écris, bien à la hâte, ces lignes, que je vous conjure de détruire après les avoir lues. Je ne veux cependant pas vous quitter, sans vous dire combien je souffre de voir votre père soumis à cette pénible existence. Ce que je tiens à vous redire surtout, c’est qu’à part le chagrin que nous a causé votre mère, je quitte Lille parfaitement heureux, puisque j’emporte la certitude de votre affection : vous savez quelle est la mienne : vivons donc dans l’espérance, ma douce amie, du bonheur : qu’il vienne tôt ou tard, il n’en viendra pas moins. Permettez donc qu’avec la franchise d’un futur mari, je vous renouvelle l’assurance de ma vive tendresse : elle a au reste assez de force dans mon cœur pour que je la désigne par le mot d’amour.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Cette lettre a été écrite par moi, à Lille, le 26 Août 1842, au soir, la veille de mon départ.

Je comptais la remettre à Eugénie, si je croyais pouvoir le faire, sans que sa mère s’en aperçût ; mais la surveillance n’a pas plus fait défaut, le matin de notre départ, que les jours précédents, et force m’a été de me priver de la satisfaction de communiquer ces pensées à ma bonne cousine. Heureusement qu’elle ne doute pas de moi, à ce que j’espère.

Paris le 31 Août 1842.

A. Auguste Duméril

Je prie Félicité d’exprimer à Eugénie, de la part de mes parents[4], tout le contentement qu’ils éprouvent de la perspective de cette union.

C’est moi, qui devrais peut-être m’excuser auprès d’Eugénie, d’être pour elle une cause de tant de chagrins.


Notes

  1. Auguste Duméril l’aîné, père de Charles Auguste (dit Auguste), de Félicité et d’Eugénie.
  2. Alexandrine Cumont.
  3. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  4. André Marie Constant Duméril et Alphonsine Delaroche.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres particulières d’Auguste à Eugénie et d’Eugénie à Auguste, du 26 Août 1842, au 22 Avril 1843, et lettres de Félicité à Eugénie et d’Eugénie à Félicité dans lesquelles ces lettres particulières étaient toujours envoyées », p. 221-226

Pour citer cette page

« Vendredi 26 août 1842 (B). Lettre d’Auguste Duméril (Lille) à sa cousine Eugénie (Lille) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_26_ao%C3%BBt_1842_(B)&oldid=35954 (accédée le 4 octobre 2024).

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