Jeudi 19 février 1880

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)

original de la lettre 1880-02-19 pages 2-3.jpg


Jeudi soir 19 février 80

Ma chère Marie

Nous avions une journée magnifique après 2 ou 3 jours de pluie, lorsque l’on est seul un peu de soleil tient lieu de société & le cœur est un peu plus content. J’ai pas mal travaillé ces derniers jours & cependant je trouve que je ne fais plus grand chose d’utile tout en me trémoussant dans mes chiffres & de trop rares visites de l’usine qui du reste ne me réclame plus très heureusement pour elle.

Comment t’exprimer tout le plaisir que me procurent tes si bonnes, si gaies & si affectueuses lettres ; je suis si heureux de te savoir contente & voyant devant toi un bonheur que Dieu ne te refusera pas, car si le papa a un avis à donner en pareille matière il trouvera toujours que son enfant chérie le mérite bien.
Du reste tout ceux qui t’aiment & ils sont nombreux ont une entière confiance en Marcel[1] & s’il a gagné le gros lot, il nous semble que Marie sera aussi bien partagée, que tout semble réuni pour que vous soyez heureux. C’est ce que tu vois & nous avec toi  & je trouve que tu as raison de te sentir heureuse & le dire à ton père.

Au reçu de la lettre de ta tante[2] j’ai cherché dans l’armoire à glace & ai en effet trouvé 2 papiers que je vous porterai. Je n’ai pas autrement cherché.
Je vous porterai aussi une partie des bijoux mais non tout car l’on ne me laisserait pas passer à la douane, quoique en passant il y a 3 semaines j’aie prévenu que l’on me verrait passer avec ces Trésors.
Mais dame Douane ne voit que fraudeurs ce qui n’est jamais plaisant pour personne. L’on fera pour le mieux. Tu sais que ma mémoire me fait souvent défaut surtout depuis quelques années, mais si il y a des choses que l’on n’oublie pas, même si l’on y mettait la meilleure volonté du monde & cette Douane est du nombre. Si à Carcassonne les esprits sont occupés d’autres détails historiques plus importants il n’en est pas de même en Alsace & en particulièrement à Vieux-Thann.
Je tâcherai de retrouver les deux livres que l’on me demande & comme tout est admirablement rangé par vous toutes que je n’aurai nulle difficulté à trouver & comme il y a un grand choix il est possible, ne m’y connaissant pas qu’au lieu de deux je vous en porte d’avantage.

Je ne sais pas si Thérèse[3] savait que je causais avec toi, mais à l’instant elle vient de m’apporter pendant mon souper une grande pile que je prenais pour des petits rideaux de Bureau, ce sont me dit-elle, si vous m’y autorisez 60 torchons ourlés etc. etc. pour mademoiselle Marie que je voudrais faire marquer F M. Autorisation donnée, elle reprend un autre paquet. ce sont 36 tabliers très beaux & larges pour femme de chambre dont nous n’avons que faire que j’ai fait cet hiver & que je destinais au même usage, encore mon approbation ! Puis 6 sacs en toile pour divers usages en provision, bien.
« Je n’aurai rien à faire pendant votre séjour à Paris, me permettez-vous d’acheter de la toile pour faire 12 tabliers pour cuisinières », que faire avec une aussi bonne volonté que de dire oui. Heureusement qu’elle ne trouve plus rien d’assez beau & assez neuf, car ce serait autant de F M. !!

En fait de femme de chambre sœur Bonaventure voudrait placer auprès de freùlein Marie la jeune Metzler[4] qui était depuis nombre d’années chez les LéopoldZurcher[5], cet ami cherche à la placer puisqu’il ne veut plus avoir de maison. Célestine[6] la voudrait, mais la jeune fille qui connait la maison ne veut y aller & ni le gendre ni sœur Bonaventure ne veulent la lui donner. C’est chez toi, qui doit être bonne pâte que l’on voudrait la voir. L’on dit grand bien de ses talents & de sa personne, mais ne la connaissant pas du tout je n’en suis que l’écho.
Il paraît que l’on a déjà donné commission (la famille Zurcher) pour lui procurer une bonne place.
Depuis quelques jours déjà j’aurais dû t’en parler, mais n’y pensais plus.

Samedi il y aura 3 semaines que je vous ai quittés & c’est aussi samedi soir que je pense quitter si toutefois mes poseurs de sonnettes finissent ce qui n’est pas sûr & je n’aime pas les voir dans la maison me sachant loin. Ma sonnerie à la porte a pris beaucoup de temps, mais elle marche & je suis maintenant maître de mes gardes de nuit, ce qui me va, car enfin l’on ne sait pas ce qui arrive à un pauvre vieux que l’on dit dans le pays 14 fois millionnaire.[7]
Il faut aussi que les gardes puissent me prévenir d’un accident. Tant mieux si ces précautions ne servent jamais. Je vois à regret qu’il ne me reste qu’une toute petite place pour vous embrasser tous & toi en particulier ma chérie
ton père
ChsMff

Si vous ne me voyez arriver Dimanche Matin ne vous inquiétez pas je serai resté tout tranquillement à la maison. Du reste j’ai le temps jusqu’à demain midi pour ajouter un mot.


Notes

  1. Marcel de Fréville, fiancé de Marie Mertzdorff.
  2. Aglaé Desnoyers épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Thérèse Neeff, au service de Charles Mertzdorff.
  4. Possiblement Marie Anne Metzler, née en décembre 1855.
  5. Léopold Zurcher vient de perdre sa femme Marie Henriet.
  6. Célestine Billig épouse de Louis Alexandre Henriet.
  7. Paragraphe barré d’une croix.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 19 février 1880. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_19_f%C3%A9vrier_1880&oldid=39904 (accédée le 15 novembre 2024).

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