Jeudi 16 et vendredi 17 février 1882

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


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Mon cher Papa,

Quoique Émilie[1] t’ait, à ce que je sais, écrit hier, je pense qu’elle m’aura bien laissé de quoi parler encore avec toi et quand ce ne serait que pour te dire que nous allons très bien et que nous pensons beaucoup à toi cela vaudrait encore la peine de prendre la plume, me voilà donc, mon Père chéri, à mon bureau, griffonnant ces quelques lignes, puis dans un instant je me retournerai, je verrai qu’il est affreusement tard et je me précipiterai dans ma chambre pour m’habiller car nous dînons ce soir chez ma belle-mère[2] qui reçoit plusieurs personnes.

Je reviens de chez bonne-maman[3], elle a été un peu indisposée mais aujourd’hui elle va mieux et compte sortir demain, quand elle dit sortir, il faut entendre faire une longue course à pied, car bon-papa et bonne-maman font des courses surprenantes, moi-même qui aime bien à marcher, je n’aurais pas l’idée de me lancer dans des promenades pareilles, je crains que ce ne soit parfois un peu fatigant pour bonne-maman et je voudrais qu’elle arrivât à pratiquer davantage l’omnibus.

Hier j’ai dîné au Jardin tout le monde allait très bien, demain je compte y retourner dans l’après-midi avec Jeanne[4]. Il me semble qu’il y a longtemps que je ne t’ai parlé de cette petite fillette, mon cher Papa, et cependant je t’assure qu’elle m’occupe assez ; nous la trouvons pour le moment en parfait état, elle grossit, grandit, sa petite intelligence se développe, tout cela sans nuire aux bonnes joues roses. Quel bonheur nous avons ! la 6e dent est tout à fait percée et maintenant celles du bas se préparent, elle est plus avancée que toutes ses contemporaines pour la dentition mais il paraît que 2 de ces petites filles du mois de Mars disent déjà papa, nous n’en sommes pas là, et nous n’essayons même pas une syllabe quelconque. Par contre Mlle sait faire déjà quelques petites farces, elle se raidit quand on veut l’asseoir et rit en même temps des efforts infructueux de ceux qui veulent la plier ; elle s’accroche aux chaises et a réussi une fois à se lever seule. Tous les matins et tous les soirs elle fait une grande partie de jeu avec son papa[5], c’est le bon moment de la journée.

Vendredi matin. Je reprends, mon cher Papa, cette lettre interrompue hier soir, comment vas-tu ? que je voudrais donc pouvoir m’envoler tous les jours un peu auprès de toi ! t’embrasser, causer avec toi, ce serait si bon ! Émilie m’a donné ta lettre Mercredi, j’ai vu avec joie que vous alliez bien tous, quel bonheur de savoir Hélène[6] en pleine convalescence ! bon-papa et bonne-maman sont bien heureux mais et je crois que souvent bonne-maman est prise d’un grand désir de voir sa chère petite-fille à laquelle elle pense sans cesse. Je vois d’après ta lettre que vous avez le même temps que nous, chaleur et humidité, c’est plus agréable que le froid mais je ne sais si c’est aussi sain ; je n’entends cependant pas parler de maladies hors celle de Mlle Poussielgue[7] notre jeune voisine ; t’avais-je écrit qu’elle avait été au plus mal la semaine dernière d’un rhumatisme articulaire qui s’était porté à la tête, on la croyait perdue, c’était une désolation profonde mais elle va mieux depuis 8 jours et le médecin la dit sauvée. Nous avons passé 2 jours bien pénibles car il était impossible de ne pas sentir vivement la douleur de ces pauvres parents[8].

Adieu, mon cher petit Père, soigne-toi bien, ne te fatigue pas et pense à tes filles qui t’aiment de tout leur cœur.

Je t’embrasse mille fois, Marcel me charge de ses filiales amitiés pour toi, Jeanne souffle sur ta joue.

Marie        


Notes

  1. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville.
  3. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  4. Jeanne de Fréville, sa fille.
  5. Marcel de Fréville.
  6. La petite Hélène Duméril.
  7. Probablement Berthe Poussielgue, rue Cassette.
  8. Georges Henri Poussielgue et son épouse Louise Alexandrine Ballard.


Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Jeudi 16 et vendredi 17 février 1882. Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_16_et_vendredi_17_f%C3%A9vrier_1882&oldid=39867 (accédée le 29 mars 2024).

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