Jeudi 11 décembre 1873 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)

original de la lettre 1873-12-11A pages 1-4.jpg original de la lettre 1873-12-11A pages 2-3.jpg


Jeudi soir 11 Xbre 73.[1]

Ma chère Marie

J'allais me mettre à mes comptes de fin d'année mais je m'arrête à temps pour venir te prier d'abord d'embrasser ta tante[2] sur ses deux grosses joues pour la bonne lettre qu'elle s'est donnée la peine de m'écrire. Tu peux bien penser le plaisir que cette lettre de ce matin m'a fait car je n'en attendais pas. Cette bonne tante est toujours contente de ses deux petites filles[3], qu'elles continuent ainsi à récompenser cette bonne tante pour toutes les peines qu'elle se donne pour faire de vous de bonnes grandes filles.

Puis ma chérie je n'oublierai pas non plus de vous embrasser, comme je vous aime, c'est comme tu sais – très fort.

Il y a longtemps, me semble-t-il, que je ne vous ai plus écrit & ce qui est encore plus long ce sont ces 15 jours loin de vous. Et cependant, j'ai encore si peu fait depuis que je suis ici qu'il me semble qu'en quelques bonnes journées j'aurais pu terminer ce qui ne l'est pas encore.

D'abord le froid, auquel je me figure être très sensible, me retient plus en chambre & bureau que je ne devrais, je ne vais pas assez à toute chose autre que des écritures que je devrais laisser pour les soirées. Mais comme tu vois, je m'écoute un peu trop, ce qui n'est pas bien. Tu vois donc que ton père n'est pas toujours content de sa personne & s'il le dit c'est qu'il espère toujours se corriger.

Hier Mercredi j'ai eu la visite de deux Allemands, patron & représentant, vrais Berlinois, Léon[4] est venu avec eux. Ils sont arrivés à 11 h & devaient repartir avec moi à 1 h pour Mulhouse de sorte que je leur ai donné à dîner. Oui ma chère petite amie, je suis réduit à avoir à ma table des Juifs allemands & cela pour que la fabrique puisse vivre ! & que je trouve de quoi occuper les Ouvriers. Du reste l'homme par lui-même est très bien & s'il parlait une autre langue que celle que nous avons si souvent entendue lorsque ces Amis envahissaient notre pays, nos maisons, je l'aurais trouvé fort bien

A Mulhouse j'étais à la Bourse, l'on me persuade que c'est mon devoir, je le crois puisqu'il le faut & je vais ; mais non avec plaisir. Je ne sais trop ce que j'y ai fait d'utile que Léon n'aurait pas su faire, mais j'ai vu bien des amis que depuis fort longtemps je n'avais pas vus & j'ai causé plus en cette heure qu'ici dans des semaines. Heureusement que j'aime bien bavarder avec mes chéries bien aimées, autrement j'oublierais entièrement ma langue que je n'ai jamais bien sue.

Le service de la Maison se fait comme à La Trappe dès que l'on m'entend arriver, à 7 ½ matin, midi 1/4 & 7h du soir, tout est prêt & se prépare. Je n'attends jamais & fais rarement attendre. le journal lorsqu'il est là à midi est mon compagnon, mais lire en mangeant n'est pas commode, il faut une l'habitude pour y trouver de l'agrément & le dîner dure trop longtemps. Le plus souvent je préfère expédier le manger grande vitesse & reviens au coin du feu du petit salon lorsqu'il y fait bon ou à mon bureau où Melcher[5] a soin d'entretenir les feux. Tu devines que ce que je caresse avec le plus d'affection, avec trop d'affection, c'est le poêle ; c'est comme cela que l'on se gâte & que l'on a froid. Mais je vais bien, très bien même.

Je dois retourner à Mulhouse demain où j'ai déjà envoyé M. Pétrus pour voir la même machine (une <rame>) & où je me rencontrerai avec Léon. Mais comme la journée est longue & la vue d'un Métier ne prend qu'une ou 2 h. Je compte aller me promener à Bâle. Tu as sans doute déjà deviné que c'est pour l'achat d'un manteau fourré qui doit préserver ma petite personne sur la route de Paris.

Tu vois que je me soigne & que je ne me laisse manquer de rien. Mais comme j'aurai plusieurs fois à faire ce petit voyage, il ne sera pas inutile & sais d'avance que j'aurai l'approbation de la tante & filles.

J'espère être rentré pour 8 h du soir où peut-être je trouverai pour me réchauffer une petite lettre.

Ce matin le Percepteur prussien est venu me demander la permission de profiter de la glace du filtre du haut. il paraît qu'il y a déjà foule. je laisse la porte ouverte pour que tout le monde puisse en profiter

Nous avons depuis 3 à 4 jours tous les matins de 8 à 10° de froid ce qui est rude pour la saison.

Je ne remplirai pas ma glacière, c'est une grosse affaire & pour quoi ? Par contre je vais demander à Mme Berger[6] la machine à faire la glace pour en acheter une pour l'hôpital de Thann & peut-être pour moi en cas de besoin pour les malades, car ce ne sera jamais pour faire des sorbets.

Il fait bon chaud dans le salon, il est 8 h ¼ & je vais me mettre à mes comptes, c'est assez bavardé comme cela. bonsoir tout le monde que je vois à la bibliothèque, toi & tante travaillant, Emilie & Jean[7] s'amusant.


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Marie et Emile Mertzdorff.
  4. Léon Duméril.
  5. Melchior Neeff, concierge chez les Mertzdorff.
  6. Joséphine André, épouse de Louis Berger.
  7. Le petit Jean Dumas.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 11 décembre 1873 (A). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_11_d%C3%A9cembre_1873_(A)&oldid=39778 (accédée le 25 avril 2024).

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