Dimanche 3 mars 1918 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)

original de la lettre 1918-03-03A pages 1-4.jpg original de la lettre 1918-03-03A pages 2-3.jpg


3 Mars 18

Mon pauvre Louis,

que d’excuses j’ai à te faire pour ne pas t’avoir envoyé de draps aussitôt après mon retour ! Ton papa[1] avait bien remarqué que tu en demandais ; j’avoue que ta demande est passée inaperçue pour moi et je ne l’ai enregistrée ni dans mon cerveau qui était passablement encombré à Brunehautpré où elle nous a touchés, ni dans mon agenda. Tu as donc bien fait de la réitérer. J’ai cherché deux vieux draps très minces, les plus amincis par l’usage de toute l’armoire afin de pouvoir les faire voyager par la poste et ils sont partis ce matin en 2 paquets recommandés. Leur état de maturité ne leur permettra pas un long service. Veux-tu que, sans attendre, je t’envoie une paire meilleure par colis postal ? J’ai épinglé dans l’un d’eux la petite grille de la montre que j’ai depuis longtemps dans mon chiffonnier.

Nous nous demandons si les coups de main relatés depuis 2 jours n’ont pas intéressé quelque peu ta région dont nous n’avons d’ailleurs qu’une idée bien vague.

Nous avons eu ce matin des nouvelles de Pierre[2] dont nous ignorons également la situation géographique. Nancy, dit-on, vient d’être encore cruellement bombardée.

Voilà les pauvres Degroote encore dans les maladies ! on se demande si AM et Georges[3] ne recommencent pas les oreillons ! ils n’ont vraiment pas de chance les pauvres gens ! Ils n’ont pu déjeuner ici ce matin avec les de Place[4] que nous avions conviés à notre réunion de famille. Guy ColmetDaâge[5] manquait aussi étant souffrant, de sorte que, après avoir dû être très nombreux nous avions une petite table de 12 !

J’ai serré hier la main à Co[6] au Père Lachaise. Je lui ai trouvé une mine horrible. Il a beaucoup maigri depuis quelque temps. Sa femme n’y était pas, ou du moins je ne l’ai pas reconnue. J’ai vu M. l’Abbé[7], aperçu Bellanger, Dagens mais aucune dame de connaissance.

Il fait un temps horrible, neige, pluie, tout ce qu’on peut souhaiter et comme Elise[8] vient de m’amener Jacqui[9] coupable d’avoir coupé sa plus belle culotte avec des ciseaux, afin que je détermine une punition, j’ai décrété gravement qu’il serait aujourd’hui privé de promenade. Grosse explosion de désespoir…

Heureusement qu’il n’a pas l’idée de regarder par la fenêtre. Adieu mon bon petit, et encore toutes mes excuses pour avoir tant tardé à t’envoyer ces pauvres draps. Je t’embrasse très tendrement.

Emy


Notes

  1. Damas Froissart.
  2. Pierre Froissart, frère de Louis.
  3. Anne Marie (10 ans) et Georges Degroote (6 ans), enfants de Henri Degroote et Lucie Froissart.
  4. Guy de Place et son épouse Hélène Duméril (et leurs enfants ?).
  5. Guy Colmet Daâge, époux de Madeleine Froissart.
  6. Maxence de Colleville, époux de Géraldine de Bouteiller.
  7. L’abbé Marcel Pératé.
  8. Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  9. Jacques Damas Froissart (4 ans).

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 3 mars 1918 (A). Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_3_mars_1918_(A)&oldid=53643 (accédée le 14 novembre 2024).

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