Lundi 1er février 1915

De Une correspondance familiale


Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (au front)


original de la lettre 1915-01-31 pages 1-4.jpg original de la lettre 1915-01-31 pages 2-3.jpg


29 RUE DE SEVRES. VI[1]

Mon cher Louis,

Te voilà donc, à ton tour, sur le front, y arrivant par le plus beau temps du monde : tu ne vas pas [croire] « à la boue légendaire » des tranchées.

J’espère que la rigueur de la température (qui est la contrepartie !) ne te trouvera au dépourvu du moyen de t’en défendre et que tu auras pu emporter de la Braconne pour le front un sac abondamment pourvu de tout ce fourbi : je pense aussi que tu n’as pas le gousset trop dégarni ou que, s’il en était ainsi, nous serions prévenus en temps utile pour y pourvoir. Faut-il te constituer une réserve ? Si tu étais fantassin, je dirais « oui ». mais, canonnier, [Cv] tu ne me parais pas très exposé à être fait prisonnier. Cependant nous nous en rapporterons à l’opinion que tu peux avoir.

Nous voulons penser [que] que tu es au 2e groupe du 41: malgré la distance qui sépare un 1er [Clv] de son Commandant de groupe, j’estime que tu pourras profiter de la 1ère circonstance favorable pour te présenter, si ce n’est fait, au Commandant Marc[2] et le remercier de t’avoir demandé. Nous te pensons peut-être dans des parages voisins du village de Hermonville où repose le corps de ce pauvre Jules F[3] ?

Je t’ai donné de médiocres nouvelles de Michel[4]. Je n’en ai pas encore de bonnes à te donner, tous les 3 jours, il lui vient des températures de 40° et quelques dixièmes, qu’on a fait tomber en lui faisant samedi une large entaille à l’épaule : mardi la même température est tombée sans qu’on ait rien ouvert, mais peut-être quelque abcès, voisin des entailles s’est-il déversé lui-même, sans qu’on le remarque. Ce matin température presque normale ; ce soir, à 16h, de nouveau 39°6 (et probablement 40° après notre départ !). Il s’alimente assez bien pendant les jours d’accalmie mais tu penses bien que à ce régime, ses forces s’épuiseront. C’est exaspérant et je ne puis croire que ce ne soit pas inquiétant ! Il y a, à tout cela, un motif qu’on ne découvre pas et que l’on ne peut attaquer parce qu’on ne le connaît pas.

Ta pauvre mère[5] est au lit depuis 2 jours avec une « bronchite » qu’on dit « grippale ». C’était fatal alors que, déjà mal en train, elle promenait, chaque jour, son rhume sur le chemin du « grand hôtel », théoriquement en auto, quand ce n’était pas « à la recherche d’une auto » par un temps glacial (sans compter qu’on ne se réchauffe pas facilement à stationner chez Michel malgré le radiateur). Heureusement la température est tombée : elle avait 38.6 et n’a plus que 37.3 le soir grâce à de vastes cataplasmes sinapisés.

Notre réserve de bois passe un vilain quart d’heure pour élever la température de notre chambre de 10° à 15° et plus.

Hélas ! le problème du chauffage devient extrêmement aigu ici : on dit que demain à midi le chauffage central a chance de cesser : nous nous démenons pour que le propriétaire nous tienne parole !

Nous avons vu dimanche M. et Mme Level, (ci-devant de Campagne, maintenant de Paris Plage[6]) venant voir, à l’hôpital de l’école polytechnique, leur fils dont la rotule a été démolie dans le [  ] : il a eu d’ailleurs un malheur au cours du traitement de toute façon sa jambe est désormais rigide, à défaut d’articulation.

Nous avons eu dimanche la visite de Pottier[7] qui retournait à Campagne pour 20 jours. Il a chance, je crois, d’être rendu à la culture, étant de la classe 89 et chef de culture. Gaston[8], le jardinier, est passé ce soir, se rendant aussi à Brunehautpré (pour 6 jours).

Il vient d’être de nouveau malade et supporte mal la vie enfermée au milieu de gaz malsain, dit-il : il regrette de n’être pas dans les [autos] : je crois qu’il a besoin de veiller très sérieusement sur sa santé.

Nous avons vu l’abbé Porterat ; [ ]. Lettre de Jean F.[9] qui paraît être à [Verdun] (au dépôt divisionnaire)

Amitiés et tous nos vœux

LD Froissart

Je pense que tu n’as pas pu revoir [ ]. Tu ferais bien de leur écrire un mot. Nous attendons Pierre[10] vers le 4 Février. Ce matin 1er Février on me répond au téléphone que Michel a la même température qu’hier.


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Charles Marc.
  3. Jules Froissart.
  4. Michel Froissart, frère de Louis.
  5. Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.
  6. Le Touquet-Paris-Plage, qui accueille de nombreux réfugiés, Belges en particulier.
  7. Éloi Raymond Pottier (né en 1869).
  8. Gaston Piollé.
  9. Jean Froissart.
  10. Pierre Froissart, frère de Louis.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 1er février 1915. Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (au front) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_1er_f%C3%A9vrier_1915&oldid=58706 (accédée le 18 décembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.