Dimanche 31 août 1879

De Une correspondance familiale


Lettre de Paule Arnould (Jonchery-sur-Vesle, dans la Marne) à son amie Marie Mertzdorff (en vacances en Suisse)


original de la lettre 1879-08-31 pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-08-31 pages 2-3.jpg


Le Vivier 31 Août 1879
Par Jonchery-sur-Vesle
Marne.

Ma chère Marie,

Comme vous êtes gentilles d’avoir pensé dans vos montagnes à l’amie de la plaine ! J’ai reçu vos fleurs Jeudi, je n’ai pu lire sur le timbre que Haute-Savoie ; où êtes-vous ? Non loin du Mont Blanc probablement. Quel jour me les avez-vous envoyées ? Le voyage a dû être malheureusement un peu long, elles n’ont pas toutes repris dans l’eau, et ce n’est que cette nuit dans un rêve que je les ai vues resplendissantes de fraîcheur.
Merci donc de votre envoi, je n’en avais pas besoin pour penser à vous éveillée, mais endormie, je ne pouvais en répondre. Tu as été bien gentille, ma chère Marie, de m’écrire pendant notre orphelinat et je t’ai bien reconnue là. J’espère que ma lettre qui s’est croisée avec la tienne sera arrivée à temps ; j’avais mis une adresse de souvenir, peut-être trop vague, à Launay, mais si Emilie[1] ne l’a pas eue, vous avez quelque raison de vous étonner de ce silence. Je ne vois plus guère mes amies d’ici, la meilleure, Marie Chesnay[2], est repartie à Magny-en-Vexin ; ses sœurs[3] voient surtout Mathilde[4] ; quant aux autres, celles de Trigny, les demoiselles Heidsieck[5] viennent ou vraiment] très peu, et celles de Reims sont trop loin. Au commencement de notre séjour notre occupation principale a été notre correspondance à nos voyageurs et aux autres absents. Bien que nous fussions deux à écrire, c’était un vrai travail car nous voulions tout raconter jusqu’aux moindres détails, et ce n’est pas bien difficile d’en trouver à donner quand on parle à des amis d’une vie qu’ils partagent ordinairement. Nous sommes bien soulagées dans ce rude labeur, puisque nous avons remplacé les lettres par de bonnes causeries, et je t’assure que la substitution s’est faite sans regret de notre côté. Nos parents[6] et nos frères[7] sont arrivés Mardi très hâlés et assez un peu maigris, ravis surtout de ce beau voyage ; le temps a généralement été assez favorable. Et vous, mes chères Amies, quand vous serez installées quelque part, dites-moi ce que vous voyez et où vous êtes. Edmond et Louis ont vu le Mont Blanc du haut du Feldberg, vous en avez fait l’ascension, n’est-ce pas ? Vous ai-je jamais dit que j’ai été en 1869 à Aix-les-Bains en Savoie, mais j’y ai fait peu d’excursions étant accompagnée par Mme Rostan[8], ma marraine, qui ne marche pas du tout. Nous avons seulement traversé un jour en bateau le lac du Bourget qui est très joli, autant du moins que je me le rappelle.

Pauvre Marthe[9], qu’est-elle devenue ? Je comprends votre chagrin de l’abandonner ; les vacances, qui la laissent plus seule, et moins occupée que d’habitude ne doivent rien avoir de gai. Dites-moi aussi ce qu’elle devient.

Ma vie à moi n’a rien de particulier et pourtant les heures paisibles s’envolent vite entre 6h du matin et 10h du soir. Un peu de musique, de Marcel[10], d’histoire et de littérature, et de famille, voilà en bloc mes journées, et je ne demande pas qu’elles soient autre chose jusqu’à la fin des vacances. Je vais toujours un peu et très lentement mieux ; je recommence aujourd’hui une neuvaine, et j’espère aller à l’église en voiture Dimanche prochain ; M. le Curé ne peut pas venir jusqu’ici, c’est beaucoup trop loin pour lui car il est âgé. Je pourrai donc, au moins une fois au milieu de ces deux mois, me confesser, communier, et entendre la messe, la première fois depuis le 25 Mars ! Je pense que vous aurez reçu ma lettre ce jour-là et je vous demande de penser un peu à moi, quoique je sache bien que vous ne m’oubliez généralement pas.

Au revoir, ma Marie chérie, je t’envoie de très tendres baisers, et te charge pour ta chère Tante[11] et Emilie de toutes mes amitiés. Tu sais, ma Marie chérie, toute mon affection pour toi.
Paule Arnould

J’ai de bonnes nouvelles de nos amies, Henriette[12] est encore à Saint-Quay[13] et Marie[14] à Sèvres. Je comprends bien ton impression pour Mlle Duponchel[15] ; il y a une des jeunes filles que je vois ici qui va suivre une voie analogue, je ne la considère pas sans impression.
[  ] ou Lundi 8, jours où se terminera la neuvaine. Je vous embrasse toutes bien tendrement mes bonnes Amies chéries.


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Marie Barbe, épouse de Louis Charles Edmond Chesnay.
  3. Lucie Barbe, épouse d’Alphonse Sagot et Marie Amélie Barbe.
  4. Mathilde Arnould.
  5. La famille Heidsieck de négociants en champagne.
  6. Edmond Arnould et son épouse Paule Baltard.
  7. Edmond (fils), Louis (et Marcel ?) Arnould.
  8. Valentine Léonie Harmand d'Abancourt, veuve de Léon Rostan.
  9. Marthe Pavet de Courteille.
  10. Marcel Arnould, le plus jeune des frères.
  11. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  12. Henriette Baudrillart.
  13. Saint-Quay-Portrieux en Bretagne.
  14. Marie Flandrin.
  15. Marie Louise Duponchel, qui devient religieuse.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 31 août 1879. Lettre de Paule Arnould (Jonchery-sur-Vesle, dans la Marne) à son amie Marie Mertzdorff (en vacances en Suisse) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_31_ao%C3%BBt_1879&oldid=54120 (accédée le 19 mars 2024).

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