Dimanche 25 mai 1794, 6 prairial an II

De Une correspondance familiale

Lettre d’André Marie Constant Duméril (Rouen) à sa mère Rosalie Duval (Amiens)

lettre du 25 mai 1794, recopiée livre 1 page 138.jpg lettre du 25 mai 1794, recopiée livre 1 page 139.jpg lettre du 25 mai 1794, recopiée livre 1 page 140.jpg


N° 66

Rouen du 6 prairial de l'an second de la république

Maman,

À votre lettre du 4 courant, que je reçois dans le moment, je réponds de suite pour profiter de l'occasion du Citoyen Delcourt. Je dois entrer avec vous dans de grands détails, malheureusement, je suis si vif, je dis plus, si étourdi, que je ne sais par où commencer. D'abord je relis votre lettre et j'y réponds. Je ne puis vous renvoyer le paquet de siamoise, le Citoyen Delcourt ne pouvant se charger que de lettres. Dans le cas où je vous le renverrais, vous ferais-je passer la Doublure ? - J'ignorais et j'étais loin de penser que le sans-culotte, que je vous demandais, serait en siamoise, n'en ayant vu ici qu'aux ouvriers - vous me jetez dans un autre embarras. J'ai besoin d'être habillé. Car je suis nu ; ou je suis trop vêtu, voilà les deux extrêmes. Si j'achète un sans-culotte de Nankin que ferais-je quand il sera au blanchissage ? d'un autre côté, papa[1] me dit, que si j'ai besoin d'une redingote etc., je la prenne en drap. Je réponds oui. Que ferais-je ? quand le maximum des draps sera <paru> : Prierai-je la citoyenne Thillaye de m'en faire l'emplette. Faites attention que me voilà fixé de manière à n'avoir dans une décade la possibilité de sortir qu'aux heures de repos.

Remarquez aussi que j'ai besoin d'une tenue un peu plus honnête que lorsque je n'étais que simple élève.

Heureusement que vous me rassurez sur l'arrestation de Duméril[2], je le crois trop sage pour se fourrer dans la bagarre. J'espère que sous peu il sera libre. Mandez-le moi aussitôt je vous prie.

L'état de votre santé me peine : est-ce qu'il ne vous serait pas possible de vous procurer d'un pain meilleur, soit par Picquigny soit par Oisemont ? N'oubliez pas de m'en informer dans votre 1ère, vous devez apprécier tout l'intérêt que j'y porte.

Dites-moi je vous prie que fait Duval Duquesnel[3]. Je me reproche de ne pas encore lui avoir écrit, il paraît qu'il tient encore au cérémonial de l'ancien régime. Je lui rappellerai, ce que je lui ai montré plus d'une fois... que j'ai la langue longue. Et des bas de fil depuis un mois, j'ai envie de vous dire cela. Oui, maman, j'ai porté mes bas de fil à Amiens. J'ai oublié de les remporter, je suis sans ou presque sans, ceux que j'ai manquants par les pieds. Ah cela j'ai commencé par vous dire que j'avais à entrer avec vous dans de grands détails. Pour cela il faut commencer.

Je demeurerai, comme je vous l'ai dit à l'hospice de l'humanité, j'aurai là des appartements provisoires assez jolis en attendant ceux qui auraient dû m'appartenir. Malheureusement ils ne me sont accordés que lorsque le chirurgien interne qui s'en est emparé sortira, dans un an, un an 1/2. Ceux que j'ai consistent en trois pièces de plain-pied au second. L'une me servira de chambre à coucher, l'autre de cabinet d'étude et la troisième qui est séparée sera ma cuisine. Il y a un malheur c'est que je ne puis avoir cette année de cheminée, les ouvriers sont trop rares. On me montera un poêle provisoirement.

Quant à ma manière de vivre voilà : Ce qui m'embarrasse, j'avais tenté un moyen qui ne m'a pas réussi ; le voilà : Il y a dans la maison une table ouverte pour les officiers, le pharmacien en chef[4] avait obtenu d'y manger et sa pension était bien modique, on ne lui prend que 500 livres, le directeur et le chirurgien en chef[5] ont appuyé ma demande, mais les administrateurs l'on rejetée à cause de la grande rareté de vivres. Mais cette rareté n'est pas moins grande en ville ; au contraire, je ne vois même pas de possibilité jusqu'ici. Et vraiment je suis embarrassé. Je vous rendrai compte de mes démarches à cet égard et je m'en rapporterai à vous. C'est maintenant que je sens combien il est dur de n'avoir pas auprès de soi ses parents. J'embrasse papa et toute la famille, je vous en dis autant en attendant que je puisse le faire.

Constant Duméril

Madame Thillaye ne peut pas trouver le moment de vous répondre, elle est bien fâchée et me charge de vous le dire.


Notes

  1. François Jean Charles Duméril.
  2. Jean Charles Antoine, dit Duméril, frère d’André Marie Constant Duméril.
  3. André Marie Constant Duméril appelle ainsi son cousin Alexandre Duval.
  4. Probablement Guillaume Dubuc (1764-1837), pharmacien en chef à l’Hôtel-Dieu depuis 1785.
  5. Jean Baptiste Laumonier.

Notice bibliographique

D’après le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 1er volume, p. 138-141

Pour citer cette page

« Dimanche 25 mai 1794, 6 prairial an II. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Rouen) à sa mère Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_25_mai_1794,_6_prairial_an_II&oldid=39547 (accédée le 18 avril 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.