Dimanche 18 avril 1858

De Une correspondance familiale

Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre)


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Dimanche 18 Avril 1858

Pourquoi ne m'écris-tu pas, ma petite Isabelle ? cela me ferait tant de plaisir. J'ai tant d'envie de savoir que tu penses à moi, que tu sympathises avec moi, que tu partages tout ce que je pense et tout ce qui m'agite. Est-ce que tu me bouderais parce que j'ai été longtemps sans t'écrire ? oh non ! n'est-ce pas ? et si tu as trouvé mes dernières lettres trop égoïstes, pardonne-moi, je t'en prie, car tu verras plus tard qu'il est des moments dans la vie où on n'a plus très bien la tête à soi. Je ne puis te dire toutes les péripéties par lesquelles j'ai passé depuis ma dernière lettre ; les renseignements sont venus de tous côtés et tu sais, dans ce monde, combien il y a du pour et du contre en toutes choses, qu'il est difficile, ma chère amie, de faire alors une moyenne et de décider s'il y a assez de bon pour se décider à sacrifier toute sa vie jusqu'au dernier jour.

Tout cela est terrible, je t'assure et j'ai cru un jour la chose finie, le lendemain en voie d'avancer, tous ces changements sont tuants. Enfin, pourtant, le M.[1] s'impatientait et attendait avec anxiété la permission de venir et de me voir, et la permission est envoyée et l'entrevue aura lieu probablement Mardi ou Mercredi dans une promenade que nous ferons au Jardin des Plantes ; oh ! je t'en prie, pense à moi ! comprends-tu ce que c'est que de voir pour la première fois celui à qui on appartiendra peut-être, celui à qui on nous donnera, et qui aura sur nous tous les droits possibles. Enfin il faut plus que jamais s'en remettre au Seigneur dans une circonstance semblable, car il n'arrivera que ce qu'Il a décidé et en faisant sa volonté, il y a toujours moyen d'être heureux. Figure-toi que c'est Vendredi que Léon[2] passera son examen ! quelle semaine pour mes pauvres parents[3] ! en tous cas et quoiqu'il arrive, le mois d'Avril 1858 nous restera gravé dans la mémoire. Ne vas-tu pas venir toi ? ne recevant pas de lettre, j'aime à en conclure que ton arrivée est très prochaine et que tu attends pour me l'annoncer d'une manière définitive. Je te dirai que j'ai écrit à Matilde[4] afin que les Pochet, si ils connaissaient l'état de mes affaires ne se disent pas : il paraît qu'elle est si occupée qu'elle ne pense plus à rien d'autre et avant, quand elle écrivait, c'est qu'apparemment elle ne trouvait rien de mieux à faire. Si on te demande ce que je te dis dans ma lettre, tu répondras que c'est simplement une lettre d'amitié, que je te grogne un peu pour ta paresse, et que j'attends avec impatience de savoir l'époque de votre voyage. Tu entends que je veux que tu gardes le secret, tout cela est pour toi et rien que pour toi et il me semble que je puis bien t'écrire à toi. Es-tu curieuse de savoir le nom du M., il s'appelle Charles Mertzdorff. Efface bien vite. Qu'en dis-tu, c'est un peu Allemand. Age 38.

Inutile de te dire n'est-ce pas, combien mes amies[5] sont agitées et peu gaies ; <115 heures> pense un peu.

Pour que tu puisses raconter quelque chose, je te dirai qu'Adèle[6] n'est pas encore bien portante, et qu'elle a toujours peine à marcher ; elle ira, je pense aux bains de bonne heure, mais pas à Trouville, on lui a ordonné un climat moins froid. Je ne te parle pas du jour de mes 22 ans puisque je l'ai raconté à Matilde. Tu vas passer d'agréables moments, je pense, avec les demoiselles Cortal, rappelle-moi, je te prie, à leur souvenir. M. Cordier[7] va décidément partir et très prochainement ; sa pauvre femme est bien triste. Voilà le mariage Quesnel[8] qui doit approcher, ce me semble ; je pense qu'Arthur est tout à fait guéri.

Dimanche après midi

Je veux t'envoyer ces quelques lignes, ma chère Isabelle, car j'ai besoin de penser que tu vas être auprès de moi dans toutes mes épreuves, je t'assure que c'est dans un moment comme celui-ci que l'on sent bien quels sont les gens que l'on aime et combien on a besoin de leur sympathie. Qui sait si ce n'est pas la dernière fois que je t'écris avant d'avoir répondu un oui fatal ; (non pas au pied de l'autel, pourtant)

Allons je te quitte, au revoir ma petite Isabelle, écris-moi, je t'en prie, plutôt deux fois qu'une ; je te promets que s'il y a quelque chose de nouveau et de positif tu le sauras de suite ; mais non ; il vaut mieux que tu viennes bien vite ! bien vite ! Je t'envoie mille tendres amitiés

Ta toute dévouée

O X V Crol

Quelle semaine !

Ça m'a fait du bien de te tout raconter


Notes

  1. Charles Mertzdorff a demandé la main de Caroline Duméril mais ne l’a jamais vue.
  2. Léon Duméril, frère de Caroline.
  3. Louis Daniel Constant et Félicité Duméril.
  4. Louise Matilde Pochet, fille de Louis François Pochet et Matilde Delaroche. Elle est âgée de 14 ans.
  5. Eugénie et Aglaé Desnoyers.
  6. Adèle Duméril, cousine de Caroline.
  7. Le sculpteur Charles Cordier est envoyé par le gouvernement pour une expédition en Grèce, à Smyrne et en Perse, cherchant à représenter les différents types humains. Ce voyage attriste beaucoup sa femme Félicie Berchère, qui n'est pas très bien portante.
  8. Le mariage de Marie Julie Cécile Quesnel avec Arthur Louis Philippe Blacque-Belair sera célébré au Havre le 28 avril.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Dimanche 18 avril 1858. Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_18_avril_1858&oldid=60905 (accédée le 22 décembre 2024).

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