Dimanche 15 août 1880 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre d’Aglaé Desnoyers (épouse d’Alphonse Milne-Edwards) (Zermatt en Suisse) à Marie Mertzdorff puis à son époux Marcel de Fréville (Villers-sur-mer)


original de la lettre 1880-08-15B pages 1-4.jpg original de la lettre 1880-08-15B pages 2-3.jpg


Zermatt[1] 15 Août 80

Ma chère petite fille,

Je ne résiste pas au plaisir de venir t’embrasser au moins par lettre, aujourd’hui 15 Août. Il me semblait qu’une fois que tu serais mariée je t’aimerais toujours beaucoup mais que je serais moins occupée de toi ; et voilà que je m’aperçois tous les jours que je me trompais et que je connaissais mal la place que tu occupais dans mon cœur. Sans cesse je pense à toi, et plus je m’éloigne, plus j’éprouve le besoin de recevoir la certitude que tu te portes toujours bien. Vilain Enfant, comment pourrais-je donc faire pour t’oublier un peu ?
Mais je suis venue pour te souhaiter ta fête, il ne faut pas je me fâche. Oui, ma fille chérie, tu sais tout ce que je te souhaite, la continuation du bonheur que tu possèdes, continuation dont je ne doute pas, car j’ai la plus grande confiance en ton cher mari[2]. Que ta santé soit toujours bonne et que le bon Dieu te rende de plus en plus digne de la grande mission qu’il te réserve. Voilà tout ce que j’ai demandé pour toi ce matin à la messe et à une messe bien matinale 4h1/2.

Tu sais que nous étions hier Samedi à Viège[3] que nous voulions quitter ce matin avant la chaleur afin que ton oncle[4] et Émilie[5] qui devaient faire la route à pied [n'aient pas trop] de fatigue ; tu [ ] si nous comptions laisser Marthe[6] en gage à l’hôtel ; rassure-toi ; elle et ses deux ampoules devaient faire la route avec moi en voiture, car elle tenait à garder un peu de peau à ses talons pour les autres excursions. Du reste ce n’était pas une grande séparation car les côtes étant nombreuses nous n’allions pas beaucoup plus vite avec notre cheval que les piétons avec leurs bâtons. Donc nous avons commencé la journée de bonne heure et nous n’avons eu aucune peine [à nous réveiller] le carillon de l’église ayant commencé à se faire entendre à 4h, et ayant eu la complaisance de ne pas cesser de se faire entendre jusqu’au moment où se commençait la messe. Nous avons même eu bien envie de rire ce matin au bruit de ces cloches en nous rappelant l’observation faite la veille par une jeune anglaise qui trouvait le carillon que nous entendions pendant le dîner, endormant ; j’aimerais à connaître son opinion sur celui de ce matin, je doute qu’elle soit la même.
Le pays que nous parcourons est bien beau, nous sommes [bien] enthousiasmés ; la vallée de la Viège est étroite et fort belle, le torrent coule avec impétuosité et on rencontre de temps en temps de jolis petits villages composés de quelques chalets fort pittoresques (mais je préfère vous savoir dans votre petite maison de la rue Cassette plus confortable) et d’une petite Église.

Je t’ai quittée pour aller faire un tour et choisir un chalet à dessiner, car jusqu’à présent Émilie ne transporte pas inutilement son album et ses crayons. Nous voici de retour, mais nous allons avant le dîner retourner à la poste dans l’espérance d’y trouver quelque chose pour nous.

Merci, mon cher Marcel, on vient de me remettre votre bonne lettre qui m’a fait le plus grand plaisir ; on est si heureux d’entendre parler de ceux qu’on aime, et on attend avec tant d’impatience les nouvelles lorsqu’on est si loin les uns des autres. Combien je suis contente de savoir que Marie va tout à fait bien. Nous nous réjouissons bien aussi de la réunion de Villeneuve[7] ; il sera si agréable de se retrouver tous réunis.
Adieu, mon cher Marcel, je vous [] de tous et charge Marie de vous embrasser pour vous remercier de tout le plaisir que vous m’avez fait. Il me semble que je ne puis pas choisir un meilleur commissionnaire et je suis sûre qu’elle fera la chose en conscience comme tout ce qu’elle fait.
AME

Je t’embrasse bien vite, ma chère petite fille et presque à tâtons car on veut aller se coucher sous prétexte qu’on s’est levé à 3h55 ; aussi fait-on beaucoup de bêtises, on rit et on souffle les bougies sans le moindre respect pour l’âge mûr. La petite fleur rouge est de la part d’Émilie et la fougère de la mienne.

Dis-moi si tu éprouves de la fatigue à monter les étages car nous prenons le 3e pour avoir plus de calme et une plus belle vue, mais il nous serait bien indifférent de demander le second si tu le préfères.


Notes

  1. Zermatt dans le Valais en Suisse.
  2. Marcel de Fréville.
  3. Viège, dans le Valais.
  4. Alphonse Milne-Edwards.
  5. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  6. Marthe Pavet de Courteille.
  7. Villeneuve en Suisse, où doivent se rendre Marcel de Fréville, Marie et Charles Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 15 août 1880 (B). Lettre d’Aglaé Desnoyers (épouse d’Alphonse Milne-Edwards) (Zermatt en Suisse) à Marie Mertzdorff puis à son époux Marcel de Fréville (Villers-sur-mer) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_15_ao%C3%BBt_1880_(B)&oldid=39369 (accédée le 21 novembre 2024).

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