Vendredi 23 juillet 1880

De Une correspondance familiale

Lettre d’Aglaé Desnoyers (épouse d’Alphonse Milne-Edwards) (Launay-Nogent-le-Rotrou) à Marie Mertzdorff (épouse de Marcel de Fréville) (Villers-sur-mer)

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Launay Vendredi 23 Juillet

En effet, ma chère petite fille, le service de la poste se fait bien lentement entre Villers et Nogent, mais puisque tout va bien nous n’avons pas à nous plaindre ; on vient de me remettre ta lettre qui m’a fait comme ses sœurs aînées le plus grand plaisir ; j’aime tant à savoir que ta santé continue à être bonne et que tu n’as pas le plus petit nuage pour t’empêcher de jouir de ton bonheur. Tu as fort raison, tu es bien l’enfant gâté du bon Dieu, mais ce n’est pas un enfant ingrat, car il sait bien le remercier ; du reste plus on est heureux mieux on prie, il est impossible de ne pas, en regardant autour de soi, voir des personnes malheureuses ; alors on se demande ce qu’on a fait pour être [ainsi], dans le bonheur, et le cœur malgré tout se fond en remerciements ; oui, mon enfant chérie, remercie bien le bon Dieu de tout ce qu’il te donne, de tout ce qu’il te promet ; remets-toi complètement entre ses mains, et confie-lui tes plus chères espérances.
Tu trouves que je prêche. Oh non, mon enfant chérie, ce n’est pas là mon but ; je me suis crue un instant près de toi, je t’ai ouvert mon cœur et voilà tout.

J’ai bien pensé à ce que tu me dis au sujet des sœurs de la rue Cassini. Je croyais qu’on aurait peut-être pu attendre un peu pour avoir une certitude de plus avant de retenir une sœur, mais Mme de Fréville[1] sait bien mieux que moi à quel moment il faut s’y prendre pour en avoir une et comme on peut la décommander il vaut mieux faire les choses rapidement. Ce qui me contrarie beaucoup c’est ce que tu me dis qu’elles ne doivent plus aller d’avance. C’est cependant une chose bien nécessaire que d’avoir dans les derniers jours une personne d’expérience près de soi ; aussi je ne sais que dire. S’il n’y avait pas cette restriction, je serais tout à fait pour que tu aies une sœur car je n’ai jamais compris qu’on préfère une garde ordinaire. Il faudrait tâcher de savoir si ce sera une règle absolue, et si ell dans ce cas, peut-être serait-il préférable de s’adresser ailleurs.

Tout en t’écrivant j’assiste à la conversation de la jeunesse qui joue au croquet ; aussi je ne sais trop si tu comprendras ce que je t’écris. Je compte sur ton intelligence. Papa[2] arrivera demain à 2h ; il m’écrit que son exil commence à lui paraître bien long et que c’est avec une grande joie qu’il va quitter sa prison. Maman[3] va bien, elle s’intéresse aux lectures et jouit beaucoup d’avoir du mouvement autour d’elle ; il est impossible d’avoir un caractère plus charmant ; cette bonne mère est toujours contente et vous remercie du plus petit service qu’on lui rend comme d’une chose extraordinaire ; jamais un mot de plainte ; elle me dit de temps en temps le sourire sur les lèvres : « c’est ennuyeux de vieillir. » Quel exemple !

Ton oncle[4] a été très satisfait de son premier jour de dragage[5] mais je n’ai pas eu de nouvelle lettre ; j’en espère une demain parce qu’il a dû aller à terre Mercredi. Je ne me plains pas car il fait l’impossible pour m’écrire ; j’ai reçu 6 lettres de suite. Tu as raison je trouve bien triste notre complète séparation. Tu me demandes si tu peux te mouiller les pieds ; comme tu as l’habitude de te servir d’eau froide tu peux sans inconvénient patauger un peu, mais je dis un peu, et lorsqu’il fait bien chaud et que tu peux rentrer remettre des bas afin de ne pas te refroidir. Ce qu’il ne faut pas c’est te mouiller les pieds puis rester immobile à te refroidir, ce serait détestable. Mais à la fin du mois tu auras soin de ne pas même patauger un peu.

On attend ce griffonnage pour le porter au chemin de fer ; je ne sais trop ce que je t’écris, mais je te charge de toutes mes amitiés pour ton mari[6] et t’embrasse de tout mon cœur, ma petite fille chérie.
AM

Tu as très bien fait de ne pas aller chercher le peigne rue du Bac. Je fais faire tes dessus de corset plus larges que ceux que tu as.


Notes

  1. Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville et belle-mère de Marie Mertzdorff.
  2. Jules Desnoyers.
  3. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  4. Alphonse Milne-Edwards.
  5. Dragages lors de l’expédition duTravailleur.
  6. Marcel de Fréville.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 23 juillet 1880. Lettre d’Aglaé Desnoyers (épouse d’Alphonse Milne-Edwards) (Launay-Nogent-le-Rotrou) à Marie Mertzdorff (épouse de Marcel de Fréville) (Villers-sur-mer) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_23_juillet_1880&oldid=35918 (accédée le 15 novembre 2024).

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