Vendredi 15 et dimanche 31 août, et lundi 1er septembre 1856

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son amie Adèle Duméril (Paris)


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Montmorency, 15 Août 56

fermée le 1er septembre 56

Heureusement, chère Adèle, qu’il est bien établi, entre nous, que silence ne veut pas dire oubli. Tu sais, par toi-même, qu’avec le meilleur désir de dire à ses amies qu’on pense souvent à elles, on laisse le temps se passer sans prendre la plume ; puis on est furieuse contre soi, et un beau jour, on se met à son bureau. Et on griffonne son papier, en tâchant de le charger d’autant plus d’amitié qu’il y a de temps qu’on a causé avec sa petite Dèle. Voilà l’histoire de ta vieille amie NieCrol[1] ; mais elle n’a pas besoin de t’assurer, n’est-ce pas, qu’elle t’aime toujours beaucoup.

Dimanche 30 août.

Plus de quinze jours se sont écoulés depuis ma dernière causerie. Tu sais le malheur qui est venu nous frapper[2] ; et tu comprends, chérie, que les pensées sérieuses que fait naître un tel événement dans une famille, m’aient ôté un peu l’envie de griffonner.

Par suite de la maladie de mon pauvre oncle, nous, (les enfants Agl, Julien, Eugénie[3]), sommes restés plusieurs fois seuls au Cottage. Tu as peut-être rêvé quelquefois, (avoue-le, toutes les petites, nous, jeunes filles ont fait le même souhait) avoir sous ta direction, pour un jour seulement, le royaume de la maison, pouvoir faire ce que bon te semble, travailler, jouer, commander, ranger, déranger, être maîtresse enfin. Eh bien ! nous pouvons le dire, par expérience, que quand ce trône vous appartient, pour quelques moments, les idées de despotisme sont bien loin de vous, les grands projets sont remplacés par les goûts les plus sages ; et qu’on a qu’un désir, c’est de voir s’écouler, le plus vite possible, le temps qui en vous donnant la puissance vous a enlevé aussi père et mère et vous a laissés seuls avec l’ennui, il faut l’avouer. Voilà ce qui nous est arrivé. Nous sommes rentrés ce Jeudi au Cottage et cette fois, il nous paraît plus charmant que jamais. Maman[4] a trouvé la lettre de ta bonne mère[5] : elle lui répondra prochainement ; offre-lui toujours les meilleures amitiés de maman, et les affectueux respects de tes vieilles amies.

Pendant notre séjour à Paris ta petite chambre[6] a reçu nos visites, mais tu n’étais pas là pour prendre ta part des caresses que les trois amies aiment tant à te donner.

Vous jouissez tous bien de votre séjour à la mer, et vous allez revenir tous avec une provision de santé. Tous vos amis sont heureux de cette pensée. Le temps favorise vos grandes promenades, et as-tu fait acquisition de quelques nouvelles bêtes auxquelles le séjour à Paris ne puisse faire du tort ?

Adieu, chérie, reçois mille amitiés de la part de tes petites amies.

Eugénie D.

Amuse-toi bien, joue, respire, promène-toi mais n’oublie pas tout à fait, pour ces plaisirs, les amis de Montmorency. En pensant à Crol, pense un peu aussi à nous. L’Enfant Crol nous a remis un petit bouquet de ta part que nous gardons bien précieusement.

Julien t’embrasse.

Je te charge de dire à Léon[7] de notre part ce que tu jugeras que nous pouvons lui envoyer sans vous compromettre, et cependant en étant très aimable.


Notes

  1. Diminutif qui réunit les prénoms des deux amies Eugénie Desnoyers et Caroline Duméril.
  2. Constant Prévost (1787-1856), oncle maternel, vient de mourir.
  3. Aglaé (née en 1839), Julien (1847), Eugénie (1837) Desnoyers.
  4. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  5. Eugénie Duméril.
  6. Dans l’appartement d’Auguste Duméril au Jardin des Plantes.
  7. Léon Duméril, frère de Caroline.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 15 et dimanche 31 août, et lundi 1er septembre 1856. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son amie Adèle Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_15_et_dimanche_31_ao%C3%BBt,_et_lundi_1er_septembre_1856&oldid=48209 (accédée le 16 avril 2024).

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