Septembre 1787

De Une correspondance familiale

Fragment de lettre de Jean Charles Nicolas Dumont (Oisemont) à son fils Charles (Paris)


Je vais être obligé de me rendre à Amiens le 6 octobre comme élu membre du département d’Amiens[1] ce qui aurait pu peut-être me faire plaisir avant l’incendie[2], mais qui ne m’en fait pas du tout en ce moment.

Cela a été dans les premiers mouvements de l’incendie que ton frère[3] n’a pas couché au château où je suis, il y est aussi bien logé que nous, mais ta mère[4] s’y regarde comme dans une prison et je serai forcé de faire bâtir. Je suis en marché avec les demoiselles Fossé à qui j’offre trois cent livres et qui en demandent huit cents ce qui, comme tu le vois, fait une furieuse différence.

Pourquoi viens-tu m’accabler par l’idée de ne pouvoir jamais rétablir nos affaires ? Quand tu le penserais, devrais-tu me le dire ? Il s’en faut que je pense comme cela et laisse-moi dans l’illusion. Si j’y suis, tout ce que je te recommande est de ne pas m’annoncer comme ruiné parce que cela risque bien de faire aux tiers mauvais effet en écartant toute confiance parce que personne ne veut traiter avec une personne insolvable et qu’on n’est plus considéré alors, qu’on est regardé comme étant dans la misère, ce qui encore une fois n’est pas.

J’ai conduit les incendiés au château de Mazis pour y saluer Monsieur l’intendant et sa bru. J’y ai vu presque tous les yeux mouillés et l’on m’y a accablé de caresses. Je crois qu’il y aura de grands secours qui pourront être lents à cause de l’état misérable des finances.

J’ai un arrêt du Parlement qui défend de couvrir en chaumes sinon les granges qui seront à plus de soixante pieds de tout bâtiment[5] ; presque tout sera couvert en ardoises, belles maisons et rien dedans…

Madame Duval[6] fait à Amiens la quête avec Monsieur le Curé[7]. Abbeville seule a donné plus de trois mille livres. On fera une quête générale dans Paris et ailleurs. Il y a un coffre dont le curé aura une clef, Monsieur d’Houdetot une autre et moi aussi une. On a arrêté que les répartitions seraient faites à proportion des pertes et la mienne a été évaluée à quarante mille sept cents livres. Si j’en avais une partie, j’en serais bien content. Le gouvernement donnera, Monsieur le Comte d’Artois[8], etc. mais on ne sait encore ni combien ni quand. Il n’y a que la perte de Monsieur Devaux[9] qui est portée au-dessus de la mienne. Les autres y sont bien inférieures, quoiqu’il y en ait cependant plusieurs à trente mille livres, mais un petit nombre.

Ne serait-il pas possible d’avoir à un prix raisonnable un manteau de drap bleu avec un large galon d’or, ou vrai ou faux, qui fut propre ? N’en fais pas l’emplette sans que nous en soyons reparlé. Si le galon n’y était pas, je l’y ferai mettre. On dit qu’il s’en vend de propres qui viennent des gardes du corps.


Notes

  1. Après le renvoi de l’Assemblée des notables (mai 1787) convoquée pour remédier à la situation financière, le Parlement décide la convocation des Etats Généraux (juillet 1787).
  2. Voir lettre précédente, du mois de juillet 1787.
  3. André Dumont.
  4. Marie Thérèse Magnier.
  5. Voir Paul Dufournet, « Comment se sont construits les villages picards et ce qu’il en advint », Techniques et Architecture, novembre-décembre 1943.
  6. Probablement Marie Leleu, épouse de Jean Baptiste Duval ; le couple habite à Amiens.
  7. Louis François Guny, curé d’Oisemont depuis 1757.
  8. Frère de Louis XVI, le comte d’Artois est le futur Charles X (1757-1836).
  9. M. Devaux, cousin d’Oisemont.

Notice bibliographique

D’après l’extrait publié par Ludovic Damas Froissart, dans André Marie Constant Duméril, médecin et naturaliste, 1774-1860, 1984, p. 16-17.

Pour citer cette page

« Septembre 1787. Fragment de lettre de Jean Charles Nicolas Dumont (Oisemont) à son fils Charles (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Septembre_1787&oldid=58661 (accédée le 26 avril 2024).

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