Samedi 6 et dimanche 7 août 1870

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paramé) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1870-08-06 B pages1-4.jpg original de la lettre 1870-08-06 B pages2-3.jpg


Paramé

Samedi soir

10 h 1/2

Encore un petit mot pour toi, cher Ami, du bord de la mer. J'ai écrit aujourd'hui à oncle Georges[1] mais j'étais si pressée que je ne sais pas ce que j'ai griffonné. Nous avons porté nos lettres au chemin de fer et avons encore pu les faire mettre à la boîte du wagon, nous avons commandé notre omnibus pour demain afin qu'il ne nous arrive pas la même aventure que lors de ton départ. Je me tourmente de n'avoir pas de tes nouvelles, depuis Mercredi, c'est bien long. J'aurais dû te demander une dépêche. Rien de nouveau ; nos caisses sont faites, Foucault est venu les ficeler ce soir, demain il terminera. Tante Aglaé[2] la grande intendante vient d'aller régler avec les Chabert[3], les choses sont faites en conscience, nous paierons le blanchissage de nos draps. Voilà comme on fait les bonnes maisons. Hier M. et Mme Vaillant[4] sont venus nous voir. Demain il faudra être sur pieds de bonne heure, il est donc plus raisonnable que je te quitte, mais avant je veux t'embrasser comme je t'aime. ta petite femme

Nie

Demain encore une journée de corvée pour toi avec les élections municipales. Quelle combinaison avez-vous pu faire ? Je demande les détails ; tiens c'est à oncle Georges que j'aurais dû parler de cela mais j'étais trop pressée.

M. Sauvage du chemin de fer de Est exploite les mines de Sarrebruck. Pour Julien[5] il est toujours au camp du Châlons mais la première place libre dans la compagnie des mobiles <pour> le chemin de fer lui sera donnée. Est-ce préférable ? Alphonse[6] le croit à cause de la mauvaise société où il se trouve et il craint que la mobile qui est assez turbulente ne se fasse donner sur les doigts. Ah pauvre mère[7] ! que d'inquiétudes de tous genres ? Nous serons avec elle Lundi. Je t'écrirai de suite.

Dimanche 10 h en attendant l'omnibus

Pas de lettre ce matin, je suis toute agitée de n'avoir pas de tes nouvelles. Et ce que nous lisons au journal sur la surprise de Wissembourg[8] n'est pas fait pour donner des idées gaies.

Je te devine, cher Ami, bien préoccupé, et ennuyé en plus aujourd'hui, enfin tout cela passera. Nous sommes tout prêts, Aglaé a rendu la maison.

6 h 1/2 Rennes du buffet

En attendant qu'on nous apporte de l'eau je veux te rendre compte de notre journée bien remplie et bien agitée. Rien de particulier, mon cher Charles, dans notre voyage, bonne route jusqu'à Rennes, à notre arrivée nous assurons notre compartiment pour 8 h, il est promis puis nous laissons nos menus bagages en compagnie des gros ce qui fait un total de 20. Une fois tout ainsi réglé nous nous acheminons avec notre petite bande dans la ville, un peu bouleversés par ce que nous avions lu au Moniteur, pour ne pas dire beaucoup et avides de nouvelles. Aglaé va bravement lire les dépêches affichées, j'en fais autant à la fin de la journée. Que d'anxiétés, je vois tout en noir ; et en se dirigeant sur Paris on se demande si ce n'est pas là où sous peu on aura les ennemis !

ah mon Dieu ! Je verrai avec maman ce que nous devons faire. Et toi là-bas. C'est affreux de vivre ainsi séparés. Louise Pavet[9] écrit ce matin à Aglaé, comme je l'admire cette petite femme si calme au milieu de tant de causes d'inquiétudes. Elle dit que M. Pavet se plaint de la discrétion de Julien, que c'est une bonne fortune pour tous deux de se retrouver et qu'il faut qu'Aglaé écrive à Julien d'user et d'accepter ce que M. Pavet peut faire pour lui c'est à dire dîner, coucher avec lui.

Alphonse doit être à Châlons ; tous ces évènements auront peut-être changé ses projets.

Nous avons visité les églises, le palais de justice, le jardin des plantes, nous avons eu une bonne petite averse et notre petit monde savoure un bifteck, on est un peu fatigué et j'espère qu'on va bien dormir malgré les chants patriotiques. La gare est parfaitement tranquille, il ne me reste qu'à t'envoyer toutes les tendresses de ta petite femme et de tes bonnes petites filles[10] ; encore un bon baiser.

7 h

Eugénie Mertzdorff


Notes

  1. Georges Heuchel.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Les Chabert, propriétaires de la villa louée.
  4. Léon Vaillant et son épouse Henriette Jeanne Hovius.
  5. Julien Desnoyers.
  6. Alphonse Milne-Edwards.
  7. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  8. Les Allemands prennent l’offensive en Alsace le 4 août. Une division française, surprise par la IIIe armée allemande se fait décimer à Wissembourg.
  9. Louise Milne-Edwards, épouse de Daniel Pavet de Courteille.
  10. Marie et Émilie Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 6 et dimanche 7 août 1870. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paramé) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_6_et_dimanche_7_ao%C3%BBt_1870&oldid=61042 (accédée le 18 décembre 2024).

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