Mercredi 28 septembre 1853

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Saint-Omer) à son épouse Eugénie Duméril (Paris)


d’André Auguste Duméril.

Saint-Omer, mercredi 28 Septembre 1853. 1 heure.

Tu n’auras pas été étonnée, je pense, ma bonne Eugénie, de ne pas recevoir de lettre de moi aujourd’hui. Il m’aurait été, en effet, impossible de t’écrire hier, et je suis bien content d’avoir pu causer avec toi de Calais, lundi, et d’avoir pu t’annoncer, par les quelques lignes au crayon, que j’ai jointes à cette lettre, notre heureuse arrivée à St-Omer, où, comme cela a toujours lieu ici, nous[1] avons été reçu de la façon la plus affectueuse. Mon pauvre oncle[2] est bien changé, depuis dix ans que je ne l’avais vu, et quoiqu’il soit bien présent à tout ce qui se passe autour de lui, la difficulté extrême avec laquelle il parle, rend la conversation avec lui presque impossible. On ne peut lui adresser que quelques mots, auxquels il a bien de la peine à répondre. Sa marche est difficile, et il ne veut guère, pour marcher, que le bras de sa femme, qui est admirable, dans les soins continuels qu’elle lui rend, avec une facilité bien remarquable. Je ne la trouve pas changée : elle a toujours cet air de si grande bonté et cette agréable physionomie, que nous lui avons toujours connue. Bien secondée, comme elle l’est, par ses filles, elle se tire, sans embarras apparent, de son énorme maisonnée, composée, en ce moment, outre le personnel habituel, de Mme Martin, de notre nouvelle et vraiment charmante cousine Adèle et d’Eugène, puis de Montfleury[3], d’Alfred[4], du petit Emile Gibassier[5], qui est un très gentil jeune garçon, de 14 à 15 ans, puis de nous. Tu comprends que le nombre des couverts est toujours de 13 ou 14.

Nous avons été hier pour faire visite à M. Leurs[6], à 11 h. du matin, après le déjeuner, avant de partir pour le camp[7]. Il n’y était pas, et nous n’avons vu que les dames : une sœur de M. Leurs, non mariée, qui paraît être une personne aimable, de 45 ans environ, puis une tante de M. Leurs, de 65 à 68 ans, qui, devenue veuve, au bout d’un mois de mariage, vit, depuis lors, avec son neveu, veuf depuis longtemps, et dont elle a élevé les filles, et enfin, les demoiselles, dont nous n’avons vu que l’aînée, notre future cousine. Je ne saurais trop que t’en dire. Elle est grande, assez élancée, mais une grosse figure large, dont l’expression n’est pas facile à saisir, ce qui tient peut-être à sa timidité, qu’on dit extrême. Note bien, je te prie, que je ne porte aucun jugement. Je n’en saurai, au reste, pas davantage, car le mariage se fait, à la mairie, ce soir, à 7 heures, et celui à l’église, demain matin, à 6 heures ½, et à l’un, comme à l’autre, personne n’assistera : mon père, cependant, sera témoin, à l’état-civil. La mariée, avant même qu’il survînt un deuil, très récent, qui, à la rigueur, aurait pu motiver la chose, avait décidé qu’elle se marierait en chapeau, et en robe de couleur. C’est une bizarrerie qui paraît étonner beaucoup, dans la famille. Quant à Alfred, il est bien dans son rôle, mais il tripote et embrasse sa belle-sœur Adèle, d’une façon qui m’étonne : je me figure qu’il essaye pour demain, mais après avoir eu l’air de songer à elle, cela me semble inconvenant. On dînera chez M. Leurs. Je ne suis pas encore invité officiellement, mais c’est tout comme si je l’étais, à la manière toute gracieuse dont il m’a accueilli, dans la visite que nous lui avons faite, en revenant du camp, où nous avons été avec Eugène et Montfleury, en sortant de notre première visite. Cette course, assez longue, a été faite par nous, à l’aller, comme au retour, en voiture, et cette promenade nous a intéressés. M. Leurs est un homme de façons fort gracieuses, qui a une agréable expression de franchise. Ses manières sont fort distinguées.

En sortant de chez lui, nous sommes allés chez Constant[8]. Nous les avions rencontrés la veille, dans leur voiture, au moment de notre arrivée, et le soir, Constant était venu, avec son fils et sa fille[9], et avec Félicité Martin, qui loge chez lui. Que je te dise tout de suite qu’Anna est charmante. Il est difficile, je crois, de rencontrer une physionomie plus agréable et plus avenante, et de plus, elle est jolie, sans précisément ressembler à sa mère, surtout, en ce qu’elle est blonde et a les yeux bleus. La dernière petite fille est une admirable enfant, qui est d’une force remarquable. Elle a 3 ans, et ressemble à sa sœur aînée. Elle se nomme Alice.

Zénaïde a été avec moi gracieuse, comme toujours. Les années ont un peu marqué sur elle leur passage. Elle est venue le soir, avec sa fille, chez mon oncle, où ont dîné Constant et Félicité, avec Anna.

Mais il faut que je m’arrête, Mme Martin désirant écrire, et nous-mêmes, aller chez Constant, dont nous visiterons la fabrique, à ce que je pense. Je te remercie, de nouveau, beaucoup, de ta lettre. Papa paraît satisfait de vos arrangements, et j’aime à penser qu’ils te satisferont aussi.

Mon père est bien, et moi aussi, à part un léger dérangement de corps, qui ne m’ôte ni l’appétit, ni l’entrain. Je souhaite bien vivement que toi et Adèle[10] vous soyez bien.

Je vous embrasse toutes les deux, de tout mon cœur, en réservant pour toi, de tendres caresses.

Ne m’oublie pas, je te prie, auprès de ma tante[11], ni auprès de M. Malard, dont la dernière épreuve, nous aimons à l’espérer, aura été aussi satisfaisante que les autres[12]. Que le passage de la lettre d’Alfred est ridicule, combien il est affecté.

Je ne sais pas si je pourrai t’écrire demain.

Bien mes amitiés à Constant[13], quand tu le verras. Si l’occasion le fait, ne nous oublie pas auprès d’Auguste et d’Adine[14]. Tu sais que nous quittons St-Omer samedi matin, pour aller dîner à Paris dimanche.


Notes

  1. Auguste voyage avec son père, André Marie Constant Duméril.
  2. Florimond Duméril l’aîné, frère d’André Marie Constant Duméril ; sa femme, Catherine Schuermans. Ils ont de nombreux enfants, dont Félicité qui a épousé Jules Martin (1845), et Eugène (médecin et chirurgien militaire) qui a épousé Adèle Martin (1853), sœur de Jules.
  3. Florimond Duméril le jeune, dit Montfleury, autre enfant de Florimond l’aîné, né en 1819, administrateur d’hôpitaux militaires.
  4. Alfred Duméril, autre enfant de Florimond l’aîné, né en 1825, se marie ce jour-là avec Flore Leurs.
  5. Fils de Clémentine Duméril (fille de Florimond l’aîné) et de Jean Baptiste Gibassier.
  6. Henri Leurs, banquier à Saint-Omer, père de Flore.
  7. Le camp d’Helfaud, sur le plateau des Bruyères, à quelques kilomètres au sud de Saint-Omer, a été formé par les troupes anglaises en 1815 (en vertu du traité d’occupation). Ce camp d’entraînement est régulièrement visité par de grands personnages. Le fils aîné de Louis-Philippe y fonde un corps de chasseurs à pied, dit « chasseurs d’Orléans » (qui deviendra le corps des chasseurs alpins) ; il le visite régulièrement pour diriger des manœuvres ; c’est en s’y rendant qu’il meurt accidentellement à Neuilly-sur-Seine le 13 juillet 1842.
  8. Constant Duméril, autre enfant de Florimond l’aîné, manufacturier de pipes de terre à Saint-Omer, est marié à Zénaïde Loisel.
  9. Constant Duméril et Zénaïde Loisel ont quatre enfants : Emile (né en 1833), Anna (née en 1835), Arthur (né en 1837) et Alice (née en 1850).
  10. Adèle Duméril, leur fille de 9 ans.
  11. Alexandrine Cumont, veuve d’Auguste Duméril l’aîné, mère d’Eugénie.
  12. André Malard s’est présenté plusieurs fois au concours de l’agrégation.
  13. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  14. Charles Auguste Duméril, frère d’Eugénie, marié à Alexandrine Brémontier, dite Adine.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Voyage à St Omer, Boulogne, Calais et Dunkerque, avec mon père, en 1853 », p. 589-593

Pour citer cette page

« Mercredi 28 septembre 1853. Lettre d’Auguste Duméril (Saint-Omer) à son épouse Eugénie Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_28_septembre_1853&oldid=58310 (accédée le 18 décembre 2024).

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