Mercredi 27 novembre 1918

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)

original de la lettre 1918-11-27 pages 1-4.jpg original de la lettre 1918-11-27 pages 2-3.jpg


27 Novembre 18

Mon cher Louis,

C’est avec une vive émotion que je viens de lire ta lettre. J’ai fait comme ton vieux voisin de Strasbourg, j’ai pleuré de grosses larmes… mais des larmes de joie bien profonde. J’y pense tant à mon Alsace, au bonheur qu’on doit avoir là-bas, après ce demi-siècle d’exil et d’humiliation. Oh ! cette humiliation de 71, je la sens si vivement encore et pourtant je n’avais que 10 ans.

Je suis heureuse que l’un de vous ait assisté à notre triomphe là-bas, c’est une belle compensation aux souffrances de la guerre et aux heures sombres du printemps dernier. Ce sera pour toi un souvenir toujours vivant. Tu vois que je ne me trompais pas en disant que l’Alsace restait française de cœur. D’ailleurs depuis que l’on connaît mieux les Boches on doit bien se rendre compte de l’abîme qui nous sépare d’eux et de l’impossibilité où nous étions de prendre leur mentalité et leurs habitudes.

Nous avons eu aussi aujourd’hui la vive émotion de voir arriver Mme Vandame[1] et sa dernière fille[2]. Nous avons Élise[3] et ses petits[4] depuis Dimanche et sa mère s’est décidée à faire un rapide voyage pour voir ses 3 filles[5] avant que Jacques[6] ait la petite permission de 3 jours dont il compte profiter pour aller avec Élise à Lille et Douai. Elle est d’un courage et d’une résignation admirables cette pauvre Mme V. faisant si généreusement son sacrifice et si sincèrement reconnaissante envers la Providence pour tout ce qu’elle lui a laissé. C’est beau, après 4 années de si grandes souffrances[7].

Nous avons les CD[8] jusqu’à Vendredi. Henri[9] doit retourner à Lille le 3 Xbre pour le Conseil Général, il espère être bientôt démobilisé comme brasseur et conseiller général. Mais il faut décider l’oncle F.[10] à lui laisser sa place dans l’exploitation de la brasserie qu’Henri croit pleine d’avenir et tu sais combien l’oncle est tenace, rapiat et tient à ne pas lâcher le monopole des écus… ton papa[11] s’est entremis pour l’apitoyer en une longue épître très documentée et très convaincante. On n’a pas encore la réponse.

Je ne sais où sont tes frères : le 20 Michel[12] était à Rennes et Pierre[13] le 16 à Mézières. Je t’écris tout en surveillant la confection de la frênette[14]. M. l’Abbé Porterat a passé quelques jours près de Paris ; nous l’avons vu plusieurs fois. André Parenty est enfin autorisé à partir pour Rome ; à cause de sa provenance de Saint-Omer on ne voulait pas lui délivrer de sauf-conduit. Larue y est depuis un mois.

Je t’embrasse tendrement, mon cher enfant.

Emy

T’ai-je dit que la femme de Blaud[15] a réussi à se faire mourir en se jetant dans un puits ? il y a une quinzaine de jours.


Notes

  1. Zélia Vandewynckele, épouse de Paul Vandame.
  2. Françoise Vandame.
  3. Élise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  4. Jacques Damas, Marc et Claude Froissart.
  5. Zélia Vandewynckele-Vandame a 5 filles : Claire, Thérèse, Elise, Céline et Françoise Vandame.
  6. Jacques Froissart.
  7. Son fils Maurice Vandame est tué en juin 1918 et son fils René Vandame est prisonnier en Suisse en 1917.
  8. CD : Les Colmet Daâge ? Ou lapsus pour les Degroote ?
  9. Henri Degroote.
  10. Ferdinand Degroote.
  11. Damas Froissart.
  12. Michel Froissart.
  13. Pierre Froissart.
  14. La frênette est une boisson sans alcool à base de feuilles de frêne et de chicorée.
  15. Probablement Marie Victorine Herminie Devienne, veuve de Joseph Blaud.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 27 novembre 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_27_novembre_1918&oldid=61308 (accédée le 22 décembre 2024).

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