Mercredi 24 et jeudi 25 août 1870 (C)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1870-08-24 C.jpg


Mercredi soir

Un tout petit bonsoir, cher Ami, Demain allant voir ma tante Allain[1] je ne pourrai pas t'écrire aussi je veux te griffonner quelques lignes qui devront te porter toutes mes pensées. Je te vois si isolé, si bourrelé et avec tant d'idées tristes et préoccupantes que je souffre bien de te savoir seul là-bas dans notre grande maison. Nous[2] serons bien heureuses de rentrer mais au moins que ce ne soit pas chez les Prussiens ! Quel abomination que cette guerre, il n'y a qu'une voix pour blâmer la tête et qu'une voix pour dire qu'il n'y a que l'élan patriotique qui puisse sauver la France, sinon c'est fini. Mais chacun est trop heureux, le bien-être est si répandu en France que personne ne veut faire de sacrifice : « Vive la patrie ! » « Honneur à nos braves soldats ! » Mais si nous pouvons faisons-nous oublier restons chacun chez nous ! Voilà la pensée de chacun. Ce n'est pas suffisant pour sauver une grande nation. Alphonse[3] a un peu repris meilleure mine depuis qu'il travaille à son fort, il rentre fatigué, mais au moins il a fait quelque chose ; je l'ai trouvé tellement maigri. Au reste Alfred[4] aussi, mais ça ne lui fera pas de mal. On se remonte mutuellement mais chacun a le cœur bien triste.

Le camp de Châlons va se joindre à l'armée, et il est peut-être bon que je sois auprès de maman[5] ! Que doit-il arriver ?

Pour parler de chose  plus douce, je te dirai que nos bonnes petites filles ont pris un bain froid, tante Aglaé[6] et moi les avons conduites, elles étaient bien contentes ; le moral et la santé sont bonnes, elles rient toujours, c'est bon signe. Chacun les câline et le soir c'est l'oncle Alfred qui fait avec elles la partie de dames. Aujourd'hui pas de lettre de toi, la ligne est peut-être coupée, j'écris toujours. Bonsoir Chéri, 11 h sonnent, je viens de terminer des comptes et je vais faire dodo. Je t'embrasse bien fort

Ta Nie

M. Auguste[7] va un peu mieux, l'enflure diminue. Il est encore allé aujourd'hui par le bateau[8] aux Champs-Élysées.

Jeudi 8 h

Un petit bonjour mon cher Charles, tout en faisant travailler mes petites filles, j'étais à la messe de 6 h ; vu la dépêche qui annonce un avantage de nos armes près Gravelotte mais perte sérieuse. On s'abstient de réflexion. En ce moment Emilie écrit très bien et maman dicte à Marie qui s'applique. Merci pour ta petite lettre de morale elle m'a donné de la force pour être écoutée. Je leur laisse le règlement de la journée pendant que je serai chez ma tante Allain mille amitiés

EM


Notes

  1. Marie Emilie Target, veuve de Benjamin Allain, réside à Quinquanpoix.
  2. Eugénie et les deux fillettes, Marie et Emilie Mertzdorff.
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. Alfred Desnoyers.
  5. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  6. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  7. Auguste Duméril.
  8. La Mouche.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 24 et jeudi 25 août 1870 (C). Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_24_et_jeudi_25_ao%C3%BBt_1870_(C)&oldid=35089 (accédée le 18 décembre 2024).

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