Mercredi 24 août 1870 (B)
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paris)
CHARLES MERTZDORFF
AU VIEUX-THANN
Haut-Rhin[1]
Pas de courrier Ma chère Nie par conséquent, cruellement privé de vos nouvelles ; Mais j'espère que vous allez tous bien & que cet accident si maladroit de Mimi[2] n'est rien.
J'espérais un peu que nous aurions nos lettres par Dijon par où nous expédions aussi nos marchandises.
Demain il y aura 5 voitures & 15 chevaux à conduire des balles à Mulhouse pour pouvoir être expédiées si le chemin [de fer] marche encore demain, encore 2 ou 3 voyages ainsi & nous sommes débarrassés de cette quantité de balles.
Risler de Cernay[3] qui a un frère en Duché Bade nous assure que le gouvernement trouve beaucoup de résistance à lever le landsturm[4], les hommes de tout âge, je crois 60 ans.
Dans tous les cas il arrive toujours de nouveaux Saxons en France.
Par contre tout ce qui n'est pas père de famille est parti, les derniers vont se mettre en route dans quelques jours.
Bon-papa[5] me dit que Léon[6] a un remplaçant pour 4 500 F qu'il va faire admettre à sa place. C'est un veuf ancien Zouave n'a qu'un grand garçon, pas de travail, quelque bien, qu'il craint de perdre, & laissera toujours cette somme à son enfant. Que c'est triste que tout ce que nous voyons. Mais ce sera toujours un meilleur soldat que ne l'eut été Léon.
M. Jaeglé a reçu une lettre du 13, le 24, de ses parents[7]. Les pauvres gens sont occupés par 45 à 50 Badois qui vont & viennent dans le pays ; ne molestent pas les personnes, mais expriment tout ce qui est humainement possible à tirer. le Canton est imposé pour une forte somme journalière & tant de rations, le pays n'en peut plus.
Ceci déjà du 13 que doivent-ils être aujourd'hui. L'on doit nous garder pour la bonne bouche. car à Belfort il n'y a pas de soldats.
Ici tout est tranquille & tout le monde triste, les ouvriers commencent à comprendre la gravité de la situation.
A voir ce qui est parti d'ici, il doit y avoir énormément de monde à Châlons. suite L'on saura cela bientôt, car probablement cette semaine encore le Prince de Prusse[8] sera devant la place.
Voilà de nouveau le beau temps c'est désolant. la pluie aurait fait tant de mal aux Allemands, qui dit-on souffrent de la faim, se nourrissent de fruits & raisins !
Nous ne savons absolument rien de Strasbourg. L'on dit que le bombardement continue & que les Badois font travailler les paysans des environs aux tranchées & à la dérivation de l'Ill.
De la maison je ne vois rien à te dire Quelques francs-tireurs vont s'échelonner le long de la Hart pour empêcher quelques Badois à passer pour rançonner les pauvres riverains. l'on dit que les gardes mobiles travaillent bien & sont bientôt des soldats.
Devant Sélestat il y a quelques mobiles & paysans qui ont tué quelques Badois. on les a enterrés. les allemands sont venu les déterrer & examiner par quelles armes ils ont succombé, c'était par des balles de gardes mobiles, s'ils avaient trouvé des balles ordinaires de paysans, ils étaient décidés de brûler tous les villages.
A Villé bas-Rhin tout un conseil municipal a été condamné à être fusillé, je crois parce que l'on a tiré quelques coups de fusil[9]. Le haut-Rhin n'a pas encore vu un soldat ennemi. Cependant nous ne pouvons pas nous flatter d'être épargnés.
Melcher[10] attend. Hier au soir j'ai travaillé à des comptes, je n'ai pas écrit. Ce matin j'ai fini, je n'avais rien de particulier à te dire. Puisqu'il ne peut presque plus être question de venir en Suisse. Il ne reste que Paris ou la Bretagne.
Il faut bien se soumettre à ce que Dieu nous envoie ce sont de bien cruelles épreuves.
Donc hier & aujourd'hui ni lettres ni journaux. Rien.
Je t'embrasse de tout cœur Enfants & parents, tout à toi
Charles Mertzdorff
Mercredi 4 h soir.
Personne n'a été à Mulhouse aujourd'hui. M. Jaeglé y était hier, mais n'a porté aucune nouvelle de la guerre.
Les journaux allemands ne sont pas gais à lire. Même les Suisses. Par le fait jusqu'à présent le Roi de Prusse[11] a presque dit la vérité seulement il donne les morts français sans connaître les siens.
Notes
- ↑ En-tête imprimé.
- ↑ Marie Mertzdorff est tombée dans l’escalier.
- ↑ Probablement Mathieu Risler (1782-1871), manufacturier et maire de Cernay.
- ↑ Le landsturm est, dans les pays germaniques et en Suisse, une armée de réserve composée de tous les hommes valides de 17 à 42 ans.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Léon Duméril ; voir la lettre précédente.
- ↑ Daniel Edouard Jaeglé, père de Frédéric Eugène Jaeglé, et son épouse Anna Frédérique Wolff.
- ↑ Possiblement Frédéric-Charles, prince de Prusse (1828-1885).
- ↑ Le 17 août 1870 un accrochage devant le château de Thanvillé, enclenché par des gardes mobiles menés par le capitaine Stouvenot et le M. de Castex, provoque un mort et quelques blessés dans les rangs des cavaliers badois ; en représailles, 14 civils de localités voisines sont sabrés ou fusillés, et le château pillé (d’après la Société d'Histoire du Val de Villé).
- ↑ Melchior Neeff, concierge chez les Mertzdorff.
- ↑ Guillaume 1er (1797-1888), roi de Prusse depuis 1861.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mercredi 24 août 1870 (B). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_24_ao%C3%BBt_1870_(B)&oldid=43248 (accédée le 18 décembre 2024).
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