Mercredi 17 janvier 1860
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son amie Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris
17 Janvier 60
Tu as bien raison d'écrire, ma chère petite Crol, que c'est la tendresse que j'ai pour la mère que je reporte sur l'enfant[1] mais sans que pour cela, mon affection pour la vieille et bien aimée amie soit en rien diminuée, je vous confonds toutes deux dans mon cœur et les charge de <se> donner mutuellement de ma part les baisers et les caresses que je serais si heureuse de leur pratiquer.
A mon tour à te remercier de la manière si gracieuse dont tu me parles de la petite Eugénie. J'ai eu un grand plaisir à confectionner de petits vêtements et un encore plus grand à recevoir la lettre si affectueuse qu'elle m'a value.
Mais sais-tu que tu mériterais presque d'être grondée car tu nous as tous gâtés ; aux deux sœurs[2] de ravissantes parures, et au petit frère[3] une collection de nos meilleurs classiques et le tout offert d'une manière si aimable que je suis encore chargée de vous en renouveler tous nos remerciements.
Mikie est, à ce qu'il paraît, noyée dans des joujoux de tout espèce, je < > vous fais mon compliment, c'est une preuve de l'affection dont elle est déjà entourée. Mme Zaepffel[4] t'a-t-elle envoyé du merveilleux pour le baby à venir ?
Ici nous sommes en pleine Sibérie après les extravagances de Mme la Seine, la neige <ici> dégèle nous avons une bonne petite gelée qui ne doit être qu'une ombre du froid des montagnes. Nous avons abandonné notre projet d'aller voir patiner au Bois de Boulogne et Julien pour se consoler patine sur notre parquet à l'instar des danseuses dans le Pied de mouton[5], car aux derniers congés nous sommes allés voir cette merveilleuse pièce. Nous n'avons pas encore eu d'autre sortie, pour Jeudi nous avons une soirée <je> pense que nous irons. puis quelques réunions de famille ; aujourd'hui nous dînons chez ma tante Prévost[6]-
T'ai-je dit que Bathilde[7] allait beaucoup mieux ; elle est avec sa petite Jeanne[8] (qui est superbe), une brune au teint rose à l'établissement hydrothérapique < > ce traitement lui fait un bien merveilleux, ses forces reviennent à vue d'œil ; maintenant elle peut marcher et s'occuper de ses enfants ; tu comprends le bonheur de la famille.
Nous sommes bien heureuses de ce que maman[9] supporte le froid parfaitement, nous sortons tous les jours sans qu'elle en soit fatiguée ; pauvre mère il n'y a que le moral qui par instant influe sur le physique ; trois bénédictions dans la famille cette année et elle reprendrait toute sa jeunesse- enfin......à la grâce de Dieu.
Je n'ai rien de nouveau à t'écrire ; si c'était une causerie en tête à tête je trouverais toujours bien quelque chose à te conter. Je suis bien heureuse mais tu comprends que lorsqu'on réfléchit on soit préoccupée etc.
Comme toujours nous avons reçu des marques d'amitiés de tous les membres de la famille et de charmants flacons en biscuit de Sèvres, de jolis vases montés en bois sculptés, un charmant coffre, des boîtes délicieuses tant par elles-mêmes que par leur contenu etc. et Julien a eu quantité de livres, Ducis[10], André Chénier[11], <aussi> le brave garçon est très bien posé au collège toujours dans les 10 premiers, il a même sa St Charlemagne. Tu ne lui en veux pas n'est-ce pas de ne pas encore t'avoir écrit, il me charge de l'excuser auprès de toi tu sais comme les garçons on à faire. Léon[12] travaille bien, quelle satisfaction pour tes parents[13] de le voir auprès de vous. Nous espérons avoir à dîner cette semaine M. et Mme <Constant> seuls, nous pouvons cette fois, nous voudrions pouvoir bien jouir de la bonne mère durant les quelques semaines qu'elle va encore passer à Paris.
Adieu, ma chère petite Crol, reçois les plus tendres amitiés de la part de ta vieille amie qui t'aime toujours plus qu'elle ne saurait le dire < > Eugénie
On me charge toujours de mille choses aimables pour toi les chéris <le, les Antoinette, les Constant etc.>
Aglaé t'embrasse de tout cœur.
Pardon pour ce griffonnage mais <il > pas Chéries< > dans mes causeries que la < >affection de ta Nie
Quel temps triste pour les pauvres, on a le cœur serré en pensant à ce qu'ils doivent souffrir.
Notes
- ↑ Eugénie Desnoyers est marraine de fille de Caroline, Marie Mertzdorff, née le 15 avril 1859, surnommée ici Mickie.
- ↑ Aglaé et Eugénie Desnoyers.
- ↑ Julien Desnoyers.
- ↑ Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ Le Pied de mouton est un mélodrame-féerie comique d’Alphonse Martainville (1770-1830), créé en 1806 et qui connaît un vif succès dans ses différents remaniements, en particulier en 1860 au théâtre de la Porte Saint-Martin.
- ↑ Amable Target, veuve de Constant Prévost.
- ↑ Bathilde est la fille aînée d’Amable Target et Constant Prévost.
- ↑ Jeanne Duval, fille de Bathilde Prévost et Alphonse Duval.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Jean François Ducis (1733-1817), auteur dramatique et poète.
- ↑ André Chénier (1762-1794), poète.
- ↑ Léon Duméril, frère de Caroline.
- ↑ Félicité et Louis Daniel Constant Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Mercredi 17 janvier 1860. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son amie Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_17_janvier_1860&oldid=34968 (accédée le 15 novembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.