Mercredi 11 juin 1851

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Londres) à son épouse Eugénie Duméril (Paris)


d’André Auguste Duméril.

Londres mercredi 11 Juin 1851 midi ¾.

C’est encore bien à la hâte que je t’écris, chère mignonne, et le cœur tout rempli d’une douce émotion, à la lecture de ta bonne lettre, que je trouve en rentrant. Quelle tendre affection tu m’exprimes, avec tant de délicatesse de sentiment, et combien je jouis de mon bonheur. Mille fois merci donc, de ta causerie, à laquelle je n’osais pas trop m’attendre, et qui ne m’est que plus précieuse, à cause de cela même. Ne te préoccupe pas, je t’en prie, du mal de mer : je ne l’aurai probablement pas, car il est fort rare que la mer soit aussi forte, dans cette saison, qu’elle ne l’a été, lors de notre traversée. D’ailleurs, quand ce mal est passé, on n’y songe plus, au bout de quelques moments, ainsi, je t’en conjure, ne trouble pas le plaisir que te cause celui dont tu sais que je jouis, par cette crainte. Je n’ai pas un instant songé à aller à Liverpool. Huit jours de plus à Londres m’auraient bien arrangé, mais, par le fait, j’aurai pris une idée très suffisante, et de Londres, et de l’Exposition[1], pendant ce court séjour, mais aussi, j’y aurai pris, je l’avoue, un vif désir d’y revenir. C’est un voyage que nous devrons faire ensemble, un jour ou l’autre. Londres est une ville trop curieuse, pour ne pas désirer la voir.

Hier mardi, pour te continuer le récit de notre vie active, nous[2] sommes allés, après que je t’eus écrit, à l’Exposition, où nous avons fait une longue et très intéressante station de 3 heures ; c’est un spectacle des plus intéressants : j’aurai, à ce sujet, bien des récits à te faire. En sortant de là, nous sommes allés au British Museum, dont j’ai visité, avec assez de détail, la collection erpétologique, mais d’une façon fort insuffisante, comme tu peux le comprendre. M. Gray m’a dit que si, une fois que nos serpents seront finis, je voulais venir m’installer au Museum, pour cataloguer les siens, il me ferait payer les frais de ma résidence à Londres. Raconte cela à papa[3], mais il n’y a, quant à présent, et d’ici à un an, aucune suite à donner à cette ouverture. Ce British museum, où Henri est venu me rejoindre, est magnifique. Nous avons dîné à l’hôtel, à 7 h ¼ ; en sortant de là, nous avons été au café français (Weirey) ; puis, j’ai été passer 1 h 1/2, à la société Zoologique, comme m’y avait engagé M. Mitchell, qui m’a invité à dîner, pour aujourd’hui, mais j’ai refusé pour Henri. Ce matin, après une promenade dans le Leicester Square et Covent Garden, quartier où papa logeait, nous sommes allés au collège des chirurgiens, d’où je reviens, émerveillé de l’excessive richesse des collections, ainsi que de l’urbanité, et surtout, de la science de M. Owen. Je voudrais pouvoir passer 8 ou 10 jours entiers, dans ce musée, et j’en reviendrais avec une richesse énorme de connaissances : ce sera même, je pense, chose à faire plus tard. Je rentre à l’hôtel, où j’ai le bonheur de me retrouver, en pensée, avec ma chère et bonne Eugénie, en la lisant et en lui écrivant. Je vais m’habiller, parce que je ne reviendrai pas à l’hôtel : nous allons visiter en détail Westminster, puis nous irons à l’Exposition, et ensuite, au jardin zoologique : où M. Mitchell m’a donné rendez-vous à 5 heures. Nous le quitterons à 7, et je passerai ma soirée dans cette maison, où il y aura, je crois, quelques personnes.

Notre journée n’est pas encore arrangée pour demain. Nous avons renoncé à aller à Windsor.

Adieu, chère et tendre amie ; jouis tranquillement de ma satisfaction, qui est extrême, dans cette curieuse ville, où je suis en parfait état, ainsi qu’Henri, pour bien profiter de notre séjour.

De bons baisers à Adèle[4], et mille tendres caresses pour toi. Je te remercie, à l’avance, de la lettre que tu me promets pour demain. Je tâcherai aussi de t’écrire, mais je ne puis pas te le promettre absolument.

Beaucoup de choses affectueuses à chacun.

Ton petit mari

A Aug. Duméril.

Mes compliments affectueux à Mme Charles Cordier[5]. J’ai vu et admiré le nègre[6] de M. Cordier. Nous sommes peu avec les Latham.


Notes

  1. La première exposition universelle.
  2. Auguste Duméril voyage avec son cousin Henri Delaroche.
  3. André Marie Constant Duméril.
  4. Adèle Duméril, leur fille âgée de 7 ans.
  5. Auguste appelle ainsi sa cousine Félicie Berchère, future épouse du sculpteur Charles Cordier (le mariage a lieu un mois plus tard, le 12 juillet).
  6. Saïd Abdallah, de la tribu de Mayac, royaume de Darfour ou Nègre de Tombouctou, bronze.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Voyage à Londres, juin 1851 », p. 566-570

Pour citer cette page

« Mercredi 11 juin 1851. Lettre d’Auguste Duméril (Londres) à son épouse Eugénie Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_11_juin_1851&oldid=41106 (accédée le 18 décembre 2024).

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