Jeudi 12 juin 1851 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Londres) à son épouse Eugénie Duméril (Paris)


d’André Auguste Duméril.

Londres Jeudi 12 Juin 1851 9 heures.

Voici la dernière fois que je t’écris, ma chère et bonne Eugénie, et je t’assure que, malgré toute la satisfaction que j’éprouve ici, ce sera avec bien du bonheur que je me retrouverai auprès de toi, et que je pourrai reprendre, avec plus de détails, ces conversations écrites, toujours un peu écourtées, par le manque de temps. Aujourd’hui nous[1] allons voir encore différentes choses que nous n’avons pas visitées, et, par le fait, j’aurai bien vu Londres, qui me laissera, pour bien longtemps, des souvenirs, que je serai heureux de venir raviver ici, avec toi.

Après t’avoir écrit hier, nous avons été voir le nouveau palais de Westminster, dont la construction, qui est une admirable reproduction de l’ancienne architecture gothique, est très avancée, mais non terminée : nous avons vu la salle des Lords, qui est d’une magnificence extrême : nous sommes entrés dans les tribunaux, où les juges siègent en robes rouges, et en perruques grises, à marteaux, et où les avocats plaident aussi en perruques grises, et à marteaux : c’est une des particularités de l’Angleterre, que le respect pour les vieux usages : c’est ainsi, par exemple, qu’à la Tour de Londres, les gardiens ont un costume bizarre, qui remonte à l’époque de Henri VIII : Caroline[2] te dira la date.

Nous sommes allés passer près d’une heure à l’Exposition[3], dont nous avons maintenant une idée assez complète, et où nous ne retournerons peut-être qu’un moment. De l’Exposition, je me suis rendu au jardin zoologique : je devais y être à 5 heures, mais je n’y suis arrivé qu’à 5 heures ½ : les courses sont toutes si énormément longues à Londres, que, malgré les Cabs, que nous prenons très souvent; nous passons beaucoup de temps en route. J’ai revu, avec M. Mitchell, différentes parties de cet intéressant jardin, où il vient d’arriver un très bel Orang-Outan. Je suis parti à 7 heures, avec M. Mitchell, chez qui j’ai dîné, sans Henri. Leur accueil est d’une amabilité dont je suis très touché : ils ont une très jolie petite fille de 4 ans, qui n’est venue qu’au bout de 10 ans de mariage. Mme Mitchell; qui a au moins 38 ans, est fort agréable et très gracieuse : elle baragouine un peu le français. Le soir, à 9 heures passées, ils m’ont conduit au Théâtre de la Princesse[4], où j’ai vu une pièce féerie burlesque (genre anglais pur sang) qui m’a amusé ; ma soirée a été très agréable. Nos plans pour aujourd’hui ne sont pas encore faits ; nous devons cependant commencer par la vieille église gothique de Westminster, que nous n’avons fait qu’apercevoir hier, et dont l’architecture est d’un gothique très pur.

Je pensais prendre demain le convoi de 5 heures, pour Southampton, mais comme il faut au moins 2 heures ½ pour faire la route, et que le bateau part à 8 heures, je craindrais de le manquer, si nous avions quelque retard, ce qui me retarderait de 24 heures : je quitterai donc Londres demain, à une heure, et penserai avec bonheur que ce sera un premier pas pour me rapprocher de ma petite mignonne, que j’embrasse, à l’avance, du meilleur de mon cœur, en lui faisant mille caresses.

Les 3 ou 4 heures, à Southampton, seront bien remplies, par la promenade, et par le dîner. Je te remercie d’avoir engagé Auguste[5] à venir dimanche. Je l’ai bien regretté ici.

Adieu, chère et excellente amie. Mille choses affectueuses à chacun. J’embrasse la bonne petite Adèle[6] de tout mon cœur, et me réjouis de revoir sa bonne petite mine joyeuse, et les charmants yeux de sa maman.

Nous allons sortir. La lettre que tu m’as promise, chère bien aimée, n’est pas encore arrivée, je ferme donc celle-ci, en t’embrassant de nouveau, et bien fort.


Notes

  1. Auguste Duméril voyage avec son cousin Henri Delaroche.
  2. Caroline Duméril, 15 ans, nièce d’Auguste.
  3. La première exposition universelle.
  4. Le Princess’s Theater est sur Oxford Street.
  5. Charles Auguste Duméril, cousin d’Auguste.
  6. Adèle Duméril, leur fille âgée de 7 ans.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Voyage à Londres, juin 1851 », p. 570-573

Pour citer cette page

« Jeudi 12 juin 1851 (A). Lettre d’Auguste Duméril (Londres) à son épouse Eugénie Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_12_juin_1851_(A)&oldid=41209 (accédée le 19 avril 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.