Mardi 8 juin 1875

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1875-06-08A pages 1-4.jpg original de la lettre 1875-06-08A pages 2-3.jpg


Paris 8 Juin 1875

Mon petit père chéri,

Je ne sais comment cela se fait mais me voilà au dernier moment pour t’écrire bien que j’aie dû le faire de très bonne heure.

Je ne sais pas non plus pourquoi j’ai le fâcheux talent d’être toujours légèrement en retard pour mes devoirs et de garder pour le Mardi une bonne petite dose de leçons[1].

Tu vois donc ma journée. Avant le déjeuner un peu de travail mais un peu de travail endormi. Puis déjeuner où nous n’avons fait que de nous tordre de rire comme M. Edwards[2] ne déjeunait pas avec nous, nous n’avons fait que des bêtises. Puis petite visite aux pigeons et enfin retour aux livres et au malheureux style qui consistait à mettre en prose la Laitière et le Pot au lait. Je l’ai fait mais cela me paraît bien biscornu puis car je n’ai cherché qu’à détruire les beaux vers de La Fontaine pour les remplacer par des autres mots beaucoup moins bien appropriés. A midi on attend Mlle Poggi[3] mais 0 Mlle Poggi, à 1h sa bonne vient nous dire qu’elle est malade. Tante[4] et Emilie[5] partent à la douche (moi je n’en prend pas encore car mon rhume n’est pas tout à fait fini) et moi comme une courageuse enfant je me mets au piano tante revient nous goûtons et j’allais sérieusement [me jeter] dans les [Russes] et dans le soleil lorsque nous voyons arriver qui ? Mlle Poggi qui se sentant mieux venait nous donner notre leçon. Je viens de finir et je trouve que c’est pas mal de piano pour un Mardi.

Hier nous ne t’avons pas écrit car nous avons travaillé une grande partie de la journée, j’ai fait 2h consécutives de règles de trois, simple, composée & et de règles d’intérêts, c’est beau n’est-ce pas ? et dire que je ne le sais pas bien encore ! Vois-tu mon bon père je crois qu’il faut renoncer à faire une arithméticienne distinguée de ta fille aînée.

Si nous n’avons pas grand’chose à te dire sur la journée de Lundi celle de Dimanche par contre a été très bien remplie je suis sûre que tu ne devinerais jamais ce que nous avons fait ? Après la messe nous avions été dans la ménagerie[6] puis le reste de la journée s’est passé tranquillement jusqu’à 2h ½, heure à laquelle oncle[7] s’était chargé de nous promener, où allions-nous aller, c’était la grande question ? Oncle l’a eu bien vite résolue et il a été été décidé que nous laisserions tante qui était extrêmement fatiguée, et que nous irions à Vincennes nous promener dans le bois. Nous voilà donc en route avec M. Krabe[8] (qui du reste a très bien couru suivi et a été fort sage). Nous avons pris le boulevard Mazas, nous avons passé les fortifications nous puis l’avenue Daumesnil et de fil en aiguille nous voilà arrivés au bois à pied, nous nous y sommes promenés longtemps puis par des détours nous avons gagné le chemin de fer et le village nous avons fait à pied le trajet de la gare ici nous avions marché 2h ½ d’un bon pas sans nous arrêter mais nous n’étions nullement fatiguées et après dîner nous avons fait notre promenade habituelle dans la ménagerie. Je t’assure que nous nous sommes beaucoup amusées, le bois est très joli quoique tous les grands arbres aient été coupés pendant la guerre il y a au milieu un petit lac très gentil.

Bonne-maman Desnoyers[9] est là à côté avec tante, moi je suis dans ta chambre à ton bureau et il fait très bon tandis que notre chambre dans la journée comme elle est en plein soleil et que nous ne pensons jamais à fermer les jalousies c’est une vraie étuve.

Adieu mon bien-aimé petit père je t’embrasse comme je t’aime c’est-à-dire de toutes mes forces. Merci mille fois pour ta bonne lettre à Emilie

ta fille

Marie


Notes

  1. Le cours chez les dames Charrier-Boblet est le mercredi.
  2. Henri Milne-Edwards.
  3. Mlle Poggi, professeur de piano.
  4. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  5. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  6. La ménagerie du Jardin des Plantes.
  7. Alphonse Milne-Edwards.
  8. Krabe, le chien.
  9. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 8 juin 1875. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_8_juin_1875&oldid=41049 (accédée le 21 novembre 2024).

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