Mardi 22 et mercredi 23 juin 1858

De Une correspondance familiale

Lettre de Caroline Duméril (nouvelle épouse de Charles Mertzdorff, Vieux-Thann) à ses parents Félicité et Louis Daniel Constant Duméril (Paris)


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Vieux-Thann

22 Juin 1858

C'est au déballage de la caisse et au remue-ménage que tout cela a causé que vous devez de ne pas avoir de lettre demain matin, mes chers parents ; tout est arrivé en très bon état et j'ai été bien contente d'avoir les faire-part car Charles les souhaitait vivement et il ne peut pas aller à Mulhouse avant que son mariage soit connu. Je vous ai écrit bien en l'air hier, mais j'étais si pressée que j'ai pensé que vous teniez moins au style et à l'écriture qu'au fond de la lettre et c'est pourquoi la forme était vraiment peu soignée. Je ne sais plus bien ce que je vous ai raconté de la réception qu'on nous a faite et qui restera dans ma mémoire comme un des plus grands événements de ma vie. Je vous ai raconté toutes choses, ce me semble, et l'arrivée et les bouquets, et les hurrah, et le discours, et le dîner des ouvriers dans la cour et enfin le bal.

(Mercredi matin) Tout cela était émotionnant et rendait heureux. Qu'auriez-vous dit si vous m'aviez vue au milieu de tout cela, moi la petite Crol ; regardée, entourée, fêtée ; au bal, je me suis beaucoup amusée et j'ai dansé comme je ne me rappelle pas l'avoir fait, mes danseurs étaient Charles, Georges[1], et les employés du bureau ; nous nous sommes retirés à 11 h. mais on a dansé jusqu'à 3 h. ; il y a longtemps, à ce qu'il paraît qu'on ne s'est autant amusé dans le pays. Dimanche le repas a bien réussi, la salle (dans notre futur logement) était garnie de pièces de calicots, de guirlandes de verdure, d'inscriptions, au-dessus de nos têtes à Charles, à moi était suspendue une magnifique couronne de feuillage et de fleurs. On a porté des toasts nombreux, et fort gracieusement l'oncle Georges[2] en a proposé un à votre santé, aux parents de la jeune femme, M. et Mme Duméril[3] ; tu comprends que j'y ai été très sensible. Ce bon oncle a fait aussi une fort jolie chanson que j'espère pouvoir vous envoyer. Le dîner avait commencé à < >, à 4 h. nous nous sommes retirés ; mais des convives ont continué de chanter et de boire jusqu'à 8 h. Dans toutes ces fêtes pourtant, il n'y a eu aucun désordre et il est étonnant qu'on n'ait pas mangé et bu davantage.

Maintenant tout cela se calme, heureusement, avant-hier, j'ai fait des rangements toute la journée ; le soir la tante Heuchel[4] est venue ; voilà une bonne et charmante personne, je l'aime vraiment de tout mon cœur, et elle de son côté est charmante avec moi. Entre Charles, Maman[5] et la Tante[6] on doit être heureux et recevoir de bons conseils et de bons exemples. Hier dans l'après-midi nous sommes allés à la ferme[7] que j'ai trouvée fort belle ; je ne saurais vous dire l'effet extraordinaire que j'éprouve en pensant que tant de choses sont à Charles, qu'elles lui appartiennent et que moi je suis sa femme. Cette idée ne peut m'entrer dans la tête et il me faudra bien longtemps avant d'y croire. Si je ne vous dis rien de mon cher mari c'est que vous savez bien ce que j'ai à en dire ; pourtant je vous avoue que je ne croyais pas qu'on pût être aussi heureux que je le suis et que je ne pensais pas qu'une affection pût être assez vive pour en remplacer tant d'autres ; quand je dis remplacer, n'allez pas croire que les premières affections aient disparu, vous savez bien comme je suis à Paris de cœur, combien vous avez gardé une grande place dans mon cœur, place que vous aurez toujours car rien ne peut effacer l'amour d'une fille pour ses parents ; je dis seulement que je ne croyais pas qu'on pût assez aimer un homme pour ne sentir aucun vide auprès de lui et que sa présence seule pût rendre le cœur joyeux et le faire battre si fort.

Me voilà assez bien installée maintenant ; Charles a fait de grands rangements dans ses armoires et m'a donné beaucoup de place ; nous avons deux très gentilles chambres et quand j'y suis avec mon mari, je ne changerai pas mon sort, je vous l'assure, avec celui de n'importe qui.

Ce qui me fait un effet très singulier, ma chère maman, c'est d'être livrée à moi-même ; je supplie toujours Charles de me dire si j'ai bien ou mal fait, mais ce vilain-là me dit toujours que c'est bien.

Maman est charmante avec moi, je commence à entrer un peu dans son ménage et elle me traite vraiment comme son enfant.

Quant à Emilie, ça ne va pas mal, mais pour elle c'est toujours pénible de me voir avec Charles, je tâche de faire ce que je peux.

Georges[8] est retourné à Mulhouse Lundi matin dans de bien bonnes dispositions ; disant qu'il s'était tant amusé à la noce qu'il devait travailler maintenant en proportion du plaisir qu'il avait eu. C'est un bon et gentil garçon avec lequel Léon[9] se liera, je l'espère bien. Comment va-t-il, ce cher frère ; il pioche ferme, je pense, nous en parlons souvent, et Charles l'engage bien à travailler très sérieusement et à prendre < > beaucoup d'énergie.

Vous ne sauriez croire combien tout le monde regrettait que vous ne fussiez pas présents à ces fêtes, chacun a su me l'exprimer d'une manière toute charmante, et l'on disait qu'il manquait les parents et le grand-père[10] pour compléter ce qu'avait d'imposant toutes ces cérémonies.

Au revoir mes chers parents, je vous quitte pour écrire aussi à mes amies[11] dont j'ai reçu de charmantes lettres, recevez je vous en prie avec l'assurance de notre vive affection les regrets de Charles à qui le temps manque pour vous écrire.

Votre fille bien attachée

Caroline Mertzdorff

Mon oncle[12] est-il retourné à Alençon ? ma tante[13] est-elle partie ? Si Adèle est encore à Paris embrassez-la bien fort pour moi et soyez l'interprète de mes sentiments de respect et d'affection auprès de tous nos chers parents du Jardin.


Notes

  1. Georges Léon Heuchel, jeune cousin de Charles Mertzdorff.
  2. Georges Heuchel, oncle de Charles Mertzdorff, et père de Georges Léon.
  3. Louis Daniel Constant et Félicité Duméril.
  4. Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
  5. Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff, belle-mère de Caroline.
  6. Emilie Mertzdorff, sœur de Charles, est veuve. Son époux Prosper Leclerc, décédé en 1855, était l’associé de Charles.
  7. Propriété de Charles Mertzdorff, à Cernay.
  8. Georges Léon Heuchel, fils de Georges Heuchel, né en 1840.
  9. Léon Duméril, frère de Caroline, né en 1840.
  10. André Marie Constant Duméril.
  11. Eugénie et Aglaé Desnoyers.
  12. Charles Auguste Duméril, ingénieur des Ponts et Chaussées, a quitté Cahors en juillet 1857 pour occuper un poste d’ingénieur en chef à Alençon. Il est venu à Paris le 14 juin 1858 pour assister au mariage de Caroline et repart le 26 pour Alençon.
  13. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril, passe l’été à Trouville avec sa fille Adèle.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Mardi 22 et mercredi 23 juin 1858. Lettre de Caroline Duméril (nouvelle épouse de Charles Mertzdorff, Vieux-Thann) à ses parents Félicité et Louis Daniel Constant Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_22_et_mercredi_23_juin_1858&oldid=56989 (accédée le 22 décembre 2024).

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