Lundi 3 février 1916

De Une correspondance familiale


Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


original de la lettre 1916-02-03 pages 1-4.jpg original de la lettre 1916-02-03 pages 2-3.jpg


3 Février

Comment vas-tu, pauvre vacciné ? je voudrais bien savoir que tu as franchi sans trop de peine les autres étapes et que ces petits accrocs successifs qui t’ont peut-être un peu fatigués n’ont pas laissé de traces durables.

Que te dirai-je de nous ? le bilan de la semaine ne présente rien de bien intéressant. Les zeppelins ne nous ont pas beaucoup émus. Je ne sais si on s’attend à en voir cette nuit ; le ciel est constellé d’étoiles parmi lesquelles on en devine d’ailées mais qui planent de telle sorte qu’elles paraissent immobiles.

Nous avons marié aujourd’hui le cousin Pierre Hamy[1], ingénieur des constructions navales de son état, mais aéronaute observateur depuis quelques mois. Il est fiancé depuis deux ans. Ton papa[2] auquel on a demandé d’être témoin a été « de noce » toute la journée. Quant à moi j’ai assisté seulement à la messe puis je suis retournée à la réception l’après-midi. C’était très gentil ce mariage dans une intimité complète, sans toute la foule encombrante et banale des indifférents. Je voudrais n’en voir jamais d’autres. Si la guerre pouvait en faire une mode durable, ce serait un vrai bienfait. Mais les couturiers n’y trouveraient pas leur compte, ni la vanité féminine non plus, et alors ?... Vu Mme Paul Hamy[3]. Son fils Robert est dans l’infanterie à Neuville St-Vaast. Il a eu les pieds gelés l’an dernier et en souffre encore.

Mais je ne te dis pas que nous avons eu Lundi la visite de Dagens, si élargi, si joufflu, si coloré que je ne le reconnaissais pas ! en voilà un auquel la guerre aura fait du bien s’il en revient ! Il a pris au contact du 17e Corps un petit fumet d’accent du Midi qui ne le dépare pas. Il revenait de chez lui et repartait à son secteur. Son lieu de repos est Arras dont tout le monde s’enfuit, il n’y reste que quelques centaines d’habitants aussi les caves vides ne manquent-elles pas pour s’abriter. La cave après la tranchée, la tranchée après la cave, tout cela lui réussit à merveille.

Geneviève[4] est prise à son tour d’un peu de jaunisse, mais ne garde pas le lit. On commence pour Suzanne[5] un régime de drap mouillé suivi d’un peignoir de flanelle dont tu fais les frais. On espère la rendre ainsi plus étanche !

On va dîner et je veux faire partir ma lettre. Je termine donc (avant les marges) en t’embrassant très tendrement

Emy

Michel[6] est allé au Mont Valérien donner une leçon de moto à Jacques[7] avant d’aller au patro dont il n’est encore revenu à l’heure où je t’écris.

Il est rentré et n’est pas allé au patro.


Notes

  1. Pierre Hamy épouse Marguerite Blanche.
  2. Damas Froissart.
  3. Aline Level, veuve de Paul Hamy.
  4. Geneviève Degroote, 8 ans.
  5. Suzanne Degroote, 7 ans.
  6. Michel Froissart, frère de Louis.
  7. Jacques Froissart, frère de Louis.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 3 février 1916. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_3_f%C3%A9vrier_1916&oldid=53129 (accédée le 9 octobre 2024).

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