Lundi 10 août 1868

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1868-08-10A pages1-4.jpg original de la lettre 1868-08-10A pages2-3.jpg


Villers-sur-Mer

10 Août

Lundi 10h

Mon cher Charles,

On me remet à l’instant ta lettre, et je n’ai pas besoin de te dire que je voudrais bien être auprès de toi et que si je ne pars pas de suite pour Vieux-Thann c’est par raison, je ne voudrais pas faire manquer aux enfants[1] ces 3 derniers bains, et il faut bien que je donne 4 jours à ma pauvre mère[2] qui se dérange elle toujours pour venir nous trouver. Mais je t’assure que je ne jouis guère ici, ma pensée est toujours près de toi et j’ai hâte de rentrer dans notre home où tu es beaucoup trop seul. Soigne-toi bien, prends tes bains de Wattwiller et promets-moi que si tu sentais le moindre malaise tu m’enverrais une dépêche. Tu sais dans l’éloignement on voit souvent les choses en noir.

La mort de ce pauvre maçon[3] est venue encore te bouleverser. Mais c’est un accident complètement en dehors de la fabrique et qui cependant n’en est pas moins triste. Il faut tâcher d’être philosophe, mais c’est gros Jean qui veut en remontrer à son curé, car si on peut te reprocher quelque chose c’est d’être trop enclin à accepter tout tellement philosophiquement que la tristesse est bien à la porte. C’est indépendant de toi, et tu as eu déjà tant de choses dans ta vie, que je comprends bien quelles doivent être tes pensées lorsque tu es seul. Enfin encore quelques jours et nous serons de nouveau tous les 4 ensemble.

Nos petites filles sont bien heureuses ici, elles s’amusent de tout leur cœur ; elles ont très bonne mine, je voudrais bien qu’elles aient ces bonnes couleurs avec leur teint halé lorsque je vais te les ramener. En ce moment elles pataugent avec l’oncle Alphonse[4] puis on prendra le bain, on déjeunera, et, je pense, arriveront M. et Mme Lafisse[5] et Mme Paul[6]. Ça ne m’amuse guère, mais il ne faut pas le montrer ; je t’en prie continue à m’écrire comme tu l’as fait jusqu’ici. Nous serons à Paris Jeudi à 5h 1/2.

Je ne crois pas qu’Aglaé[7] puisse rester, elle ne trouve pas de logement ; elle rentrerait le 15 dans la nuit.

Pour l’école écris-moi pour me dire si tu veux que je prenne quelques renseignements, ça ne me coûte pas, et cette dame[8] dont je te parle ne s’occupe que d’installation de ce genre. Mais il me faudrait les plans pour que cela puisse avoir un résultat pratique.

Nous avons eu de l’orage cette nuit, maintenant il fait magnifique, la mer est calme. Hier après avoir porté la lettre de Mimi à la poste et d’autres nous sommes allés faire un tour dans les bois, ce matin j’ai été à la messe, je viens d’écrire à Alfred[9] pour lui dire que tu ne reviens pas, et que je passerai le 15 et le 16 avec maman. Je voudrais encore écrire à bonne-maman Duméril[10], ça me tourmente un peu de la savoir souffrante.

Hier notre petite Emilie a voulu t’écrire, mais c’est un tel travail pour elle et pour moi que la fillette n’a pas terminé sa lettre ; petit Jean[11] qui parle, une coquille, un crabe, le soleil, le bain, un trou d’eau… sont tant de belles choses qui occupent son petit esprit.

Pour Thérèse[12] je suis contente qu’on arrange tout comme cela, dis-lui que c’est bien et qu’elle garde la petite Thérèse[13] tant qu’elle en a besoin car la nouvelle femme de chambre[14] n’est pas au courant.

Adieu, mon chéri, je t’embrasse comme je t’aime et comme je serai si heureuse de le faire dans quelques jours,

ta petite femme

Eugénie M.

Bien des amitiés à oncle et tante Georges[15]. J’ai écrit hier à Émilie[16].

Encore un bon bec.

1h. Nous venons de nous parer un tout petit peu pour nos visites, car jusqu’ici nous n’avons fait aucun frais de ce côté. Mme Dumas[17] tient aussi peu que nous à la toilette aussi nous prétendons qu’il faut que nous soyons aussi convaincues les unes que les autres de notre <nature> respective pour avoir un mépris tel pour les vains ornements.

Tu vois que nous attendons la présence de nos maris pour nous mettre en frais. Les autres me sont si égal.

Nos fillettes ont pris un bon bain ; Alphonse leur fait des expériences < > impossible de les faire écrire. Encore un bon bec et à bientôt j’espère.


Notes

  1. Marie (Mimi) et Émilie Mertzdorff.
  2. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  3. Pierre Trentini.
  4. Alphonse Milne-Edwards.
  5. Constance Prévost, épouse de Claude Louis Lafisse.
  6. Victorine Duvergier de Hauranne, épouse de Paul Louis Target.
  7. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  8. Mme Brossollet.
  9. Alfred Desnoyers.
  10. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  11. Jean Dumas.
  12. Thérèse, cuisinière chez les Mertzdorff.
  13. Thérèse Neeff, domestique chez les Mertzdorff.
  14. Victoire, future domestique chez les Mertzdorff.
  15. Élisabeth Schirmer et son époux Georges Heuchel.
  16. Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel et sœur de Charles.
  17. Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Lundi 10 août 1868. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_10_ao%C3%BBt_1868&oldid=60069 (accédée le 27 avril 2024).

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