Jeudi 8 décembre 1881

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son gendre Marcel de Fréville (Paris)


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Mon cher Ami[1]

C’est avec grand plaisir que j’ai lu votre bonne lettre, qui me dit que vous êtes très content de votre voyage[2] & je comprends le plaisir de vous retrouver chez vous ; Marie[3] n’était pas fâchée non plus d’embrasser son mari.

D’Émilie[4] j’ai aussi de bonnes nouvelles car je suis un papa gâté. & qui est malgré son isolement souvent avec ses enfants au moins par lettres.

Malheureusement ce matin j’ai reçu une lettre de mon beau-frère[5] qui me donne de bien mauvaises nouvelles de ma sœur[6]. Le bien qu’il était si heureux de me communiquer n’a pas persisté, la voilà plus faible & plus souffrante que jamais.

Voilà ce que me dit sa lettre :

J’ai beau vouloir me faire illusion, je vois avec terreur que les forces d’Émilie diminuent de jour en jour. Elle continue à prendre des potages & du lait, mais il est évident que ces aliments ne la soutiennent plus comme il y a peu de temps encore. Quoique très abattue, elle a conservé toute sa présence d’esprit & sa quiétude est parfaite. Dieu veuille qu’elle la conserve.

Le médecin m’a déclaré ce matin que son état était très grave. S’il devient plus alarmant, je m’empresserais de vous prévenir.

C’était un devoir pour moi de vous dire la vérité si terrible qu’elle soit.

Depuis que j’ai vu ma sœur je n’ai pu me faire illusion son état est des plus graves, très heureusement qu’elle ne le voit pas.

L’on a beau appeler à son aide religion & philosophie, il est toujours très dur de se préparer à la résignation lorsque l’on est vieux l’on a déjà tant perdu que l’on est étonné de ne pas y être endurci.

Je ne m’attends pas à avoir de sitôt une nouvelle lettre que je ne désire pas, vous pouvez le croire, & mes pensées seront souvent à Nancy.

D’ici rien de bien nouveau. la petite Hélène[7] prendra son premier œuf après-demain (samedi,) elle entre donc franchement en convalescence & je compte aller lui faire ma première visite, il n’y a plus lieu de craindre de la fatiguer ou de l’agiter.

La petite maman[8] va bien & n’a pas mauvaise mine.

Nous sommes favorisés par un temps exceptionnel pour la saison, car il est bien rare de ne voir de neige que sur les hautes montagnes & de ne pas être gelé. Aussi pour remplir les glacières va-t-on s’adresser à la Suisse ce qui fera de la glace un peu cher. Il est question de créer une usine à faire la glace à Mulhouse. Ce serait heureux pour moi qui regrettais de ne pas avoir de glacière pour les Malades. il est vrai que Janvier & février peuvent encore réparer & faire que l’hiver qui n’a pas encore commencé prenne sa revanche.

Nous qui ne travaillons que dans l’Eau ce temps nous va bien, l’usine est pas mal occupée, le travail est relativement facile, mais les prix sont si bas qu’il ne reste pas grand-chose pour ses peines. l’ouvrier gage pas mal si seulement il pensait un peu plus à l’avenir & moins aux jouissances du présent ; mais plus nous allons & moins il y a à espérer pour lui. & pour moi je ne regrette pas d’être vieux.

Dimanche le vieux curé de Roderen[9] a donné une tape à un jeune homme de 15 ans en pleine messe. Le gamin a répondu & rendu au prêtre coup pour coup ; il passe pour héros parmi ses semblables qui sont nombreux & ses parents l’approuvent !

Ne m’oubliez pas auprès de votre femme, embrassez Jeanne[10] pour moi

votre père

ChsMff


Notes

  1. Papier à en-tête professionnel.
  2. Voyage à Londres.
  3. Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville.
  4. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  5. Edgar Zaepffel.
  6. Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  7. Hélène Duméril.
  8. Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
  9. Probablement Michel Schaetzel, curé à Roderen de 1875 à sa mort en 1883.
  10. Jeanne de Fréville.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Jeudi 8 décembre 1881. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son gendre Marcel de Fréville (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_8_d%C3%A9cembre_1881&oldid=40163 (accédée le 15 novembre 2024).

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