Jeudi 29 août 1918
Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (au Bourdieu à Bègles) à son fils Louis Froissart (mobilisé)
Le Bourdieu, 29 Août 18
Mon cher Louis,
Je m’excuse d’avance de l’incohérence qu’aura cette lettre et je réclame ton indulgence, car je t’écris d’un campement de Robinson et j’ai bien à faire pour diriger l’installation d’une quantité d’enfants qui ressemblent fort à des poupées qu’on vient de trouver au cours d’une exploration du voisinage, pauvres enfants abandonnés dont les parents ont été tués ou emmenés en captivité. On soigne leurs blessures et cela t’amuserait de voit Geo[1] mettre son tablier sens devant derrière pour le changer en blouse d’infirmier. C’est amusant tous ces petits[2] qui mettent dans leurs jeux tant de conviction et tant d’entrain.
Et déjà je songe à les quitter. Ton papa[3] me réclame discrètement pour assister au service qui sera dit pour Jean[4] à Mouriez. Mais j’apprends ce matin qu’il sera probablement fixé au 3 et j’aurai de la peine y être. Je ne veux pas partir, en effet, sans être fixée sur le sort d’Henri[5] lequel se décidera avant la fin de cette semaine. S’il a la prolongation d’un mois sur laquelle il compte, je partirai Samedi ou Dimanche soir ; s’il ne l’a pas et s’il est obligé de quitter Bordeaux, je resterai auprès de Lucie[6]. Mais le voilà qui rentre et le premier médecin qu’il a vu lui a parlé de 2 mois plutôt que d’un. Demain il aura vu toutes les autorités médicales et sera entièrement fixé. En tous cas écris-moi désormais à Campagne. Ton papa m’a envoyé tes citations qui m’ont vivement intéressée. Je te renouvelle mes compliments pour ta bravoure et ton sang-froid. On aime bien à constater ces qualités chez ses enfants.
Tu parais croire que tu vas être de nouveau occupé et d’une manière plus agréable, plus flatteuse pour ton amour-propre de guerrier. Je comprends que la marche en avant vous tente et qu’elle vous électrise. Nous la suivons avec un intérêt passionné. On se sent en bonnes mains et on a confiance.
Lucie continue à se porter parfaitement ainsi que son petit Yves[7]. Les autres enfants[8] vont bien aussi. La température s’est sensiblement rafraîchie ; il fait délicieux.
Henri m’a menée avant-hier à 25 km d’ici avec la moto à ce château de Bouilhas que ton papa avait loué à tout hasard, au moment où l’on croyait à l’obligation d’évacuer Paris. La promenade était bien jolie. Il faut aller chercher Bouilhas de l’autre côté de la Dordogne dont la traversée est très belle. Nous avons déjeuné à Saint-André-de-Cubzac, joli petit bourg à 7 km de Bouilhas. Henri était ravi de cette expédition qui rompait un peu la monotonie de ses journées. Il s’ennuie à ne rien faire et il voudrait trouver une occupation peu fatigante pour remplir un peu ses trop longs loisirs de convalescent.
Michel[9] a dû quitter son tranquille secteur, mais je n’ai pas de nouvelles depuis la lettre où il prévoyait le départ. Il avait été voir Combié, retour d’Espagne, furieux d’avoir gardé à Saint-Sébastien la smala de son député tandis qu’il espérait l’escorter à Madrid, à la cour.
Je t’embrasse tendrement mon cher petit. A quand ta permission ?
Emy
Notes
- ↑ Georges Degroote.
- ↑ Outre Georges, Anne Marie et Geneviève Degroote.
- ↑ Damas Froissart, époux d’Emilie Mertzdorff.
- ↑ Jean Froissart.
- ↑ Henri Degroote.
- ↑ Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote.
- ↑ Yves Degroote, né le 17 août 1918.
- ↑ Outre Georges, Yves, Anne Marie et Geneviève, la petite Odile Degroote.
- ↑ Michel Froissart, frère de Louis.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 29 août 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (au Bourdieu à Bègles) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_29_ao%C3%BBt_1918&oldid=56876 (accédée le 15 novembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.