Jeudi 23 novembre 1916

De Une correspondance familiale


Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


original de la lettre 1916-11-23 pages 1-4.jpg original de la lettre 1916-11-23 pages 2-3.jpg


23 Novembre 16[1]

Mon cher Louis,

Ton papa[2] est rentré hier soir à 11h ayant pu voir Michel[3] deux fois hier et étant pleinement rassuré sur son sort. La question de l’évacuation sur Paris est encore incertaine. Michel espère beaucoup que cela se fera ; ton père est moins optimiste, mais je crois que Michel est décidé à faire l’impossible pour aboutir. Son moral excellent est légendaire et le fait peut-être passer pour plus guéri qu’il ne l’est. L’appareil à radiographier étant détérioré on en est toujours aux suppositions et on n’essaiera pas les extractions à Saint-Dizier. Michel est soigné par une charmante infirmière de 23 ans fille d’un industriel de la Meuse et ne paraît pas s’ennuyer dans son hôpital.

La lettre que j’ai reçue de Pierre[4] avant-hier soir me donne plus de souci. Après un voyage auprès duquel le tien, avec ses aventures, n’était qu’une promenade (nuit glaciale dans un endroit sur lequel il avait été orienté à tort, sans couverture et le ventre creux) il n’est arrivé que Mercredi à son groupe pour le trouver complètement repéré. Dès le lendemain, son [maréchal des logis] était grièvement blessé par un obus qui, en même temps tuait le brigadier, tous deux étaient les auxiliaires de tous les instants de Pierre. Ils ont été atteints au sortir du poste de commandement. Et le même jour l’ordonnance de Pierre était tué ! Il les a enterrés tous deux Vendredi et paraissait navré.

De plus son commandant est remplacé par un réserviste qui a des réformes plein la tête et paraît de relations fort désagréables. Tout cela fait que Pierre songe à demander son renvoi à [sa Batterie], mais comme il est le seul officier compétent en TSF[5], il me paraît peu probable que l’on obtempère à son désir.

Et toi, que deviens-tu ? est-il question de ton départ ? Je t’ai envoyé hier une boîte de chocolat en tablettes.

J’allais oublier de te dire que nous avons reçu ce matin la citation de Michel. Je t’en envoie ci-joint le texte[6].

Je t’embrasse tendrement, mon cher enfant. Donne-nous de tes nouvelles sans trop tarder.

Emy

M. Marc[7] vient de répondre à ton père : « J’ai fait partir une demande au commandant du dépôt. J’espère donc que votre fils arrivera au groupe par le prochain [convoi] de renforts. Je recommanderai spécialement votre fils à son capitaine de façon que la question santé soit suivie de près. »

Il y a tout lieu d’espérer que les choses marcheront bien de ce côté. Eh bien, il est tout de même mort ce pauvre François Joseph[8]. L’opinion est dure pour lui et peut-être, en effet, le compte qu’il doit rendre à l’Eternel est-il bien chargé !... car il a, en somme, une bien grosse responsabilité dans la déclaration de la guerre. Je ne savais pas que je te renvoyais une lettre de Jeanne Dupont[9]. Tu dois être bien content de sa décision et c’est ta lettre qui l’a emportée. Lucie[10] l’a reçue aujourd’hui pendant que je promenais les enfants[11] à Saint-Cloud ; elle a besoin de renseignements que Made[12] seule peut lui donner, aussi vais-je les réunir à dîner Samedi soir.


Notes

  1. Lettre sur papier-deuil.
  2. Damas Froissart.
  3. Michel Froissart, frère de Louis, blessé.
  4. Pierre Froissart, frère de Louis.
  5. TSF : Télégraphie Sans Fils.
  6. Texte non conservé avec les lettres.
  7. Le commandant Marc.
  8. Le 21 novembre 1916, François-Joseph 1er, empereur d'Autriche et roi de Hongrie, meurt à 86 ans.
  9. Probablement Jeanne Descat épouse d’Alfred Dupont.
  10. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote.
  11. Probablement Anne Marie, Georges et Geneviève Degroote, 8, 4 et 3 ans.
  12. Madeleine Froissart, épouse de Guy Colmet Daâge.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 23 novembre 1916. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_23_novembre_1916&oldid=53796 (accédée le 15 novembre 2024).

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