Jeudi 1er décembre 1881

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Nancy)


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Je ne sais vraiment, mon cher Papa, comment il se fait que je t’écris si peu quand j’ai toujours le projet contraire, il n’est pas de jour où en me levant je ne pense à te donner de mes nouvelles, puis les heures s’enfuient, j’arrive au soir sans avoir rien fait ! Je suis véritablement inquiète de cet état de choses. Je me figurais que cette semaine pendant laquelle je serais toute seule me permettrait de rattraper l’arriéré mais j’avais compté sans la petite fille[1] que Marcel[2] laissait et qui sait joliment bien absorber le temps de sa maman et puis je recommence à sortir, et puis je dors beaucoup, je fais de nombreux repas, bref, c’est désolant. Comme je te le disais Marcel m’a quittée Lundi matin à 7h, et je ne l’attends au plus tôt que Samedi tu vois que c’est une vraie séparation et je trouve cela très fort ennuyeux, je reçois de ses nouvelles bien régulièrement et jusqu’à présent son voyage s’est très bien passé.

Je profite de son absence pour sortir beaucoup : Mardi j’ai été déjeuner au Jardin (malgré un temps épouvantable) avec ma fillette et j’y ai passé presque toute l’après-midi. Hier au contraire j’ai eu ma belle-mère[3] à déjeuner et j’ai été dîner le soir rue Cuvier ; oncle[4] m’a ramenée en voiture à 9h1/2. Dans l’après-midi j’avais fait quelques courses avec tante[5]. Ce matin, j’ai déjeuné (avec Jeanne) chez ma mère et je rentre à l’instant. Tu vois, mon Papa, que je m’émancipe tout à fait et que je suis redevenue une personne ordinaire, ce qui m’enchante, cependant j’ai toujours ma petite chaîne qui me rappelle à la maison et qui sait bien m’y retenir longtemps ; les repas de Mlle durent de 30 à 50 minutes aussi je t’assure qu’elle prospère et je me fais une vraie joie de te la présenter. Quand donc viendras-tu ? J’ai constaté hier qu’elle avait augmenté cette semaine de 340 g soit, si j’ai bien profité de tes leçons d’arithmétique, 48 g par jour (on en demande 25). Je la trouve bien gentille ma Jeannette. Elle rit souvent maintenant, son teint est blanc et rose, son corps, ses petites jambes bien remplies et bien fermes et ses bons grands yeux commencent à regarder, je suis sûre qu’elle sera bonne cette enfant. Si tu savais comme je l’aime ! de plus en plus je crois.

Oh ! mon Papa que je suis heureuse rien ne me manque, j’ai le bonheur idéal ; quand je pense à tout cela je voudrais te voir, t’embrasser te remercier car c’est à toi que je dois tout cela mon Père chéri ! vois-tu je crois que depuis que j’ai ma fille je t’aime encore plus qu’autrefois ainsi cette affection nouvelle loin d’affaiblir les anciennes les a beaucoup renforcées.

Adieu, mon cher Papa, je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime

ta fille

Marie

J’ai vu hier soir Mme Dumas[6] et Jean. Ce dernier est plus grand que moi !!


Notes

  1. Jeanne de Fréville (sa fillette).
  2. Marcel de Fréville, en voyage à Londres.
  3. Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville (dite ensuite « ma mère »).
  4. Alphonse Milne-Edwards.
  5. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas et mère de Jean Dumas.


Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Jeudi 1er décembre 1881. Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Nancy) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_1er_d%C3%A9cembre_1881&oldid=39914 (accédée le 19 avril 2024).

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