Début mars 1814
Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à ses parents François Jean Charles Duméril et Rosalie Duval (Amiens)
n° 225
Mes chers parents, il y a longtemps que je n’ai reçu de vos nouvelles directes et je sais que j’aurais bien tort de me plaindre puisque je suis moi-même bien en retard avec vous. je suis accablé d’occupations depuis la mort de mon beau-frère[1]. la pratique de la médecine tant en ville qu’à mon hôpital absorberait seule tous mes moments et il s’y est joint des affaires de famille et d’administration en si grands nombres que je ne sais réellement comment je trouve du temps pour suffire à tous. je suis membre de deux commissions de la plus grande importance pour lesquelles je suis obligé de travailler beaucoup. l’une dite de salubrité composée d’une 30aine des principaux médecins de Paris au civil et au militaire est chargée par les Ministres[2] de s’occuper de tous les moyens d’entretenir la salubrité dans la ville. l’autre composée du conseil général des hospices, du Préfet[3] et de six Professeurs de la faculté doit organiser sous tous les rapports le service et la distribution des militaires qui arriveront par milliers dans les divers établissements qu’on est obligé de former.
Nous avons eu ici ces jours derniers beaucoup d’inquiétude pour Amiens. heureusement j’ai su journellement par le Général Dejean[4] ce qui se passait. je ne vous ai pas donné de nos nouvelles parce qu’elles étaient très bonnes et que je n’avais rien à vous mander que ce que vous pouviez plus sûrement apprendre par d’autres voies que par la poste. en général on ne doute plus ici que la lutte ne soit inégale et que l’on a tort de tant attendre pour faire la paix qu’il nous faut accepter et non offrir. ma famille ne quittera cependant pas Paris. nous attendrons l’événement. nous avons pris nos précautions pour éviter au moins le premier coup de main. nous avons des vivres pour quinze jours. le danger que nous avions couru il y a quinze jours se représente de nouveau et nous nous y soumettons avec toute la résignation possible[5]. ma femme[6] et Mesdames Castanet et Delaroche[7] sont assez calmes. j’ai été exempté comme médecin du service de la garde. en payant j’ai pu encore une fois sauver mon cheval. notre aîné[8] m’obsède de demandes et de dégoûts. après lui avoir donné 220 F depuis le mois de décembre j’ai tout à fait refusé. alors il m’a écrit des lettres insolentes et comme je ne lui répondais pas, il en a écrit à madame DelaRoche qui a ouvert les premières mais qui m’a remis les autres sans les ouvrir.
Auguste[9] m’avait chargé de payer pour lui une somme de 986 F. et en conséquence il m’avait adressé trois lettres de change que lui avait remises Monsieur le Dieu. la plus faible a été de suite payée. je vous adresse les deux autres avec le protêt que j’en ai fait faire et dont les frais se montent en totalité à 25 F 17 centimes. Desarbret[10] voudra bien se mettre en règle et s’il lui était possible de me faire parvenir des fonds pour le quinze mars il m’obligerait beaucoup, l’argent étant dans ce moment très rare et n’étant payé d’aucun côté. j’aurai beaucoup de peine à faire honneur à la signature d’Auguste, ce que je ferai cependant.
Ma femme et mes enfants[11] sont très bien. on trouve que les occupations me font engraisser. nous embrassons tendrement toute la famille, ma belle-sœur et ses enfants. Avez-vous des nouvelles de Montfleury[12] ?
C. Duméril
Notes
- ↑ Étienne François Delaroche, mort le 23 décembre 1813.
- ↑ Jean Pierre Bachasson de Montalivet, ministre de l’Intérieur et Henri Clarke, ministre de la Guerre.
- ↑ Gilbert Joseph Gaspard de Chabrol de Volvic (1773-1843), préfet de la Seine de 1812 à 1830. '
- ↑ Jean François Aimé Dejean.
- ↑ Après l’échec de négociations de paix (novembre 1813), les Alliés déclarent la guerre à Napoléon (4 décembre) et mènent la campagne de France qui se terminera par la capitulation de Paris (31 mars 1814) et l’abdication de l’empereur.
- ↑ Alphonsine Delaroche.
- ↑ Élisabeth Castanet, tante d’Alphonsine et Marie Castanet (veuve de Daniel Delaroche), mère d’Alphonsine.
- ↑ Jean Charles Antoine dit Duméril, frère d’AMC Duméril.
- ↑ Auguste (l’aîné), frère d’AMC Duméril.
- ↑ Joseph Marie Fidèle, dit Désarbret, frère d’AMC Duméril.
- ↑ Louis Daniel Constant et Auguste Duméril.
- ↑ Florimond dit Montfleury (l’aîné), frère d’AMC Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 3ème volume, p. 113-116)
Pour citer cette page
« Début mars 1814. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à ses parents François Jean Charles Duméril et Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=D%C3%A9but_mars_1814&oldid=62069 (accédée le 21 novembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.