Dimanche 17 juillet 1870 (A)
Lettre d’Eugénie Desnoyers (épouse de Charles Mertzdorff) (Paramé) à Félicité Duméril (Morschwiller)
17 Juillet 1870
Chère bonne-Maman,
Par les lettres de Léon[1] et par la vôtre nous sommes bien au courant de ce qui se passe à Morschwiller et je puis vous assurer que ma pensée est bien souvent près de vous tous et que je prends une bien vive part aux inquiétudes que vous donne la santé de M. Auguste[2].
Par quelles émotions vous passez tous, et combien je plains surtout Mme Auguste[3] ; dites-lui bien, je vous prie, toute mon affection, et la part que je prends à ses anxiétés ; c'est la seule chose que je puisse faire ; car les hommes sont impuissants devant les angoisses comme celles qu'elle ressent depuis deux mois et ce n'est que dans sa grande piété et son entière confiance en Dieu qu'elle pourra trouver les forces qui lui sont nécessaires.
Charles[4] m'écrit que vous aviez eu la pensée de faire venir Adèle[5] afin qu'elle vît son père et pût comprendre par elle-même la gravité du mal ; mais voici maintenant la guerre et peut-on l'engager à venir en Alsace ? D'un autre côté la chère enfant avec son caractère sérieux et réfléchi doit être elle-même bien anxieuse de voir son père. Mais il faut toujours avoir confiance, tant de personnes pour lesquelles on avait perdu tout espoir sont revenues à la santé.
Devant des inquiétudes de famille disparaissent les préoccupations que donnent les grèves et il me semble presque importun de vous en parler, vous en savez plus que moi sur ce triste sujet. L'horizon est bien noir ; La guerre avec la Prusse et une si grande effervescence dans l'esprit des ouvriers !
Ai-je besoin de vous dire que notre séjour au bord de la mer a perdu bien de son charme depuis le départ de Charles, et avec les inquiétudes que donnent les chances de guerre en Alsace. Je voudrais être avec Charles et cependant je voudrais laisser mes bonnes petites filles[6] profiter de leur saison de bains de mer, certainement que cela leur fait beaucoup de bien, les mines se brunissent et prennent des couleurs qui font plaisir, l'appétit est excellent et la compagnie où elles se trouvent est bonne à plus d'un point de vue. L'oncle Alphonse[7] a apporté son microscope, et, avec lui on cherche et on admire les merveilles de la mer, puis ce soir Hortense[8] doit arriver ; on la confie à sa marraine[9] et vous comprenez la joie de Marie. Julien[10] doit lui servir de Mentor ; je ne sais si le cher garçon pourra nous rester car nous ignorons s'il ne sera pas appelé pour la défense de l'intérieur[11]. Que de préoccupations et que de nuages au-dessus de nos têtes. Prions Dieu qu'il donne à chacun la force de supporter la tâche et les souffrances qui l'attendent.
Je ne vous parle même pas de notre installation, mais à côté des évènements actuels tout cela est de si peu d'importance ; la plage est charmante sable fin et ferme, rochers qu'on peut parcourir à marée basse, facilité de se procurer légumes, poissons, viandes.
Adieu, chère bonne-maman, je vous embrasse de cœur, et vous prie d'en faire autant à Mme votre sœur[12] et à bon-papa[13] et de croire à ma bien sincère affection. Amitiés à Mme Auguste et à Léon.
Les fillettes embrassent bonne-maman de tout cœur, les oncles, tante Eugénie et le cher bon-papa
Votre bien affectionnée
Eugénie Mertzdorff
Aglaé me prie de ne pas l'oublier auprès de vous tous et elle est comme moi bien occupée des pensées qui vous agitent au sujet de M. Duméril[14].
Notes
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Auguste Duméril.
- ↑ Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Adèle Duméril, fille d’Auguste et Eugénie, épouse de Félix Soleil.
- ↑ Marie et Émilie Mertzdorff.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Hortense Duval.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Julien Desnoyers.
- ↑ Julien Desnoyers est mobilisable dans la garde mobile.
- ↑ Eugénie Duméril.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Auguste Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 17 juillet 1870 (A). Lettre d’Eugénie Desnoyers (épouse de Charles Mertzdorff) (Paramé) à Félicité Duméril (Morschwiller) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_17_juillet_1870_(A)&oldid=61052 (accédée le 15 novembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.