Vendredi 26 août 1870

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1870-08-26 pages1-4.jpg original de la lettre 1870-08-26 pages2-3.jpg


Paris Vendredi 26 Août

2 h

Mon cher Charles,

J'ai un peu mal à la gorge, ne me suis levée qu'à 11 h et suis chiffon comme tu m'as vue déjà quelques fois lorsque je me suis refroidie ; ce n'est rien de grave mais ne puis me mettre en route comme je te l'ai écrit hier Soir, il faut donc se résigner et rester chacun où les circonstances nous ont mis. Car je pense bien que dans 3 à 4 jours la ligne du Bourbonnais que je devais prendre, deviendra aussi impraticable que celle de Dijon qui d'après le commissaire de police était fortement menacée hier. Je reste donc à Paris. C'est peut-être pour le mieux, car ma décision de t'aller retrouver par Moulins, Saint Germain des fossés, Lyon et Genève où je devais attendre que tu me fasses savoir où aller, n'était pas entièrement approuvée de tout le monde, mais mon désir de calmer tes inquiétudes et de me retrouver auprès de toi avec mes fillettes[1] me faisait passer sur les difficultés d'un voyage aussi long par le temps qui court.

L'opinion générale est qu'on ne court pas de danger à Paris ; et des environs de Paris, on rentre dans la capitale ; Mme Brongniart[2] est revenue hier soir avec ses enfants, de même de Mme de Sacy[3].

On dit qu'il en est de même de 3 à 4 lieues aux environs ; cela prouverait que l'ennemi approche.

Quant à aller à Launay, sauf papa[4], tout le monde trouverait cela imprudent, on craint autant les pillards pour les campagnes que les uhlans. Voici, mon bon Ami où j'en suis. Écris-moi ce que tu veux que je fasse, je suis toute prête (une fois mon petit malaise passé) à me mettre en route si les portes de Paris sont encore ouvertes.

Je crois que mon mal de gorge vient de fatigue, hier j'ai voulu trop en faire et puis la préoccupation de prendre un parti, tu connais cela. Le matin j'ai encore conduit les enfants chez le dentiste[5] c'est une affaire finie, et bien. Je ne puis que te répéter encore combien nos fillettes sont sages.

A 2 h je suis repartie avec papa pour prendre des passeports pour Genève, ce qui a nécessité d'aller à la préfecture de police, aux affaires étrangères et à la légation Suisse. Je suis en règle. En même temps chez Offroy qui nous a donné ce que tu m'as dit de lui demander, il tient la même somme 10[6] à ta disposition, je ne l'ai pas prise ; la première étant assez lourde pour le trajet que je devais lui faire faire. Mais si tu veux je peux aller la chercher et nous la conserverons au Jardin. Mais maintenant quand pourrai-je te les porter ? Écris-moi ton impression, et ton désir. Je ne crains rien ni ici, ni ailleurs, toute la France est malheureuse, éprouvée et partout il y a du danger. Il faut faire ce que l'on croit pour le mieux et s'en remettre à la garde de Dieu.

Papa est à Quincampoix[7] on est venu nous prévenir hier que Mme Allain[8] était au plus mal, maman[9] est restée avec moi.

Julien[10] est encore à St Maur, on parle de les envoyer en Afrique. La garde nationale s'organise. Je ne sais rien ce matin. Adieu, cher Ami. Je t'embrasse du plus profond de mon cœur. Les petites filles en font autant et 50 fois pas jour elles me disent qu'elles nous aiment beaucoup.

Merci pour tes bonnes lettres, continue je t'en prie

ta Nie

Maman te fait mille amitiés, cette bonne mère est toujours bien forte moralement.


Notes

  1. Marie et Émilie Mertzdorff.
  2. Probablement Catherine Simonis, épouse d’Edouard Brongniart et mère de Charles et Jeanne.
  3. Cécile Audouin, épouse d’Alfred Silvestre de Sacy.
  4. Jules Desnoyers.
  5. Ernest Pillette.
  6. 10 000 francs.
  7. Quincampoix dans la Vallée de Chevreuse.
  8. Marie Émilie Target, veuve de Benjamin Allain.
  9. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  10. Julien Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 26 août 1870. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_26_ao%C3%BBt_1870&oldid=61677 (accédée le 21 novembre 2024).

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