Mercredi 21 mars 1917

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)

original de la lettre 1917-03-21 pages 1-4.jpg original de la lettre 1917-03-21 pages 2-3.jpg


21 Mars 17[1]

Mon cher Louis,

Ta lettre a précédé de deux heures ce matin l’arrivée de la petite Odile[2] qui a fait son entrée en ce monde à 11h ¼. Tout s’est bien passé et c’est toujours un gros soulagement quand on voit bien arrangé dans son berceau un petit enfant très bien fait et bien vivant. J’ai l’impression qu’elle ressemble beaucoup à notre Suzette[3], mais Lucie[4] a eu une petite déception de n’avoir pas le garçon rêvé. Henri en a une aussi, mais elle est effacée par la satisfaction du fait accompli. Quant à Geo[5], il est très vexé car il avait toujours annoncé demandé un petit frère dans ses prières, contrairement à sa sœur[6]. « C’est parce que Vève a été au salut qu’elle a une petite sœur, eh ! bien maintenant j’irai au salut et je prierai et j’aurai aussi un petit frère ! » Ainsi la pauvre Lucie n’a pas fini.

Michel[7] qui était venu faire un petit tour ici hier est venu déjeuner avec nous aujourd’hui. C’est lui qui sera parrain avec Mme Didry[8]. Le baptême est fixé à Vendredi. Ton papa[9] revient demain.

Je te félicite de ton bel appétit et t’engage à le satisfaire. As-tu encore de l’argent ? (je ne parle pas de ta provision). Je te félicite aussi pour le confort dont tu jouis : hâte-toi d’en jouir !...

Tu demandes ce que nous pensons de tous les événements qui se passent. Nous nous réjouissons du repli allemand tout en ayant le cœur serré à la vue des ruines qu’ils nous laissent, ces barbares !... on n’aurait pas pu penser que de telles horreurs se passeraient à notre siècle, jusqu’à enlever des jeunes filles ! Le ministère ? hélas, je crois qu’il faut en gémir, Lyautey[10] remplacé par Painlevé[11] !... et cela au moment où l’on aurait tant besoin d’une tête pour tout diriger avec suite !

Quant à la Russie, c’est bien loin pour savoir ce qu’il en faut penser et les opinions sont bien contradictoires. On verra.

Je vais t’envoyer tes bandes bleu horizon discret et avec des cordons.

Je t’embrasse tendrement cher petit, et je t’envoie les amitiés de tous. Merci de ta bonne lettre.

Emy


Notes

  1. Lettre sur papier-deuil.
  2. Odile Degroote.
  3. Suzanne Degroote, sœur décédée du bébé.
  4. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote.
  5. Georges Degroote, 5 ans.
  6. Geneviève Degroote, 8 ans.
  7. Michel Froissart, frère de Louis.
  8. Marthe Degroote, épouse de Jules François Didry.
  9. Damas Froissart, à Campagne-les-Hesdin.
  10. Hubert Lyautey (1854-1934), ministre de la guerre depuis décembre 1916, démissionnaire pour n’avoir pu convaincre les députés des faiblesses de la préparation de l'offensive Nivelle.
  11. Paul Painlevé (1863-1933), mathématicien, député socialiste en 1910, ministre de l’Instruction publique depuis octobre 1915.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 21 mars 1917. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_21_mars_1917&oldid=53414 (accédée le 20 avril 2024).

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