Vendredi 12 janvier 1877

De Une correspondance familiale
(Redirigé depuis Jeudi 11 janvier 1877)

Dernière lettre de Suzanne de Carondelet, veuve d’Antoine de Tarlé (Paris), à son amie Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril (Flers dans l’Orne). Lettre copiée (et commentée) par Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril


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Dernière lettre de notre bonne amie Madame de Tarlé[1]. Cette lettre a été adressée à ma sœur[2] qui a eu la bonté de me l’envoyer, je m’empresse de la copier avant de la lui rendre.

Madame de Tarlé dont la manière de dire les choses avec une extrême facilité, était si remarquable, si bien conçue et exprimée.

Paris 12 Janvier 1877

Vous avez compris, bonne chère Madame et amie, la nouvelle peine qui est venue m’atteindre dans la perte de mon ancienne et fidèle amie Elisa[3]. Peut-être devait-on y être préparé par le changement extrême qui s’était fait chez elle depuis quelques mois ; mais l’on a beau aller, malgré soi, au-devant de ce que l’on redoute, quand le malheur arrive, il vous prend toujours au dépourvu, c’est ainsi que la mort arrivée bien promptement de ma pauvre amie a fait et laissé dans mon cœur de profonds regrets, elle laisse un grand vide dans la maison de son neveu[4] qui avait pour elle un grand attachement, elle était aussi fort appréciée de Madame Anatole qui l’a pleurée comme si elle perdait une mère.

Je savais bien, bonne madame, que vous seriez très sensible aussi à la disparition de cette amie qui était si attachée à vous et à tous les vôtres. Hélas ! on n’avance pas impunément dans la vie quand on se voit appelé à la douloureuse épreuve de recommencer toujours à pleurer.

Que de fois, chère Madame Auguste, j’ai pensé à vous écrire pour savoir enfin de vos nouvelles et puis, vous savez comme les actions se mettent parfois peu d’accord avec les pensées. Je trouvais triste de ne rien dire à la suite de nos trop courtes entrevues du mois de Mai. La nouvelle du mariage de Léon[5] en m’initiant à cet heureux projet m’a remise un peu au courant et voilà que votre excellente lettre me transporte au milieu de vous et me fait juger, qu’après bien des travaux de déplacement et démarches vous paraissez tous posés à votre satisfaction dans votre nouvelle résidence[6]. Je n’aime pas qu’Adèle y soit atteinte par des maux de tête qu’elle n’éprouvait pas ailleurs, mais il est permis d’espérer qu’elle s’acclimatera et qu’avec le temps qui souvent use ces sortes de maux, Monsieur Soleil deviendra moins sujet aux migraines.

Je ne puis vous dire comme la pensée du mariage de Léon occupe doucement mon cœur. Tout ce que m’en a écrit Constant[7], et les détails que vous y ajoutez me font entrevoir pour votre pauvre sœur et Constant comme un retour des joies qu’ils ont perdues et qui leur rendra quelques beaux jours. Le Ciel leur devait cette récompense. Ils ont été si religieusement et si admirablement résignés !... Je suis heureuse pour eux de votre intention d’aller assister au mariage en compagnie de M. votre frère[8] et de son fils Paul. Voici un avenir de voyage bien agréable et qui se terminera fort agréablement aussi pour nous, chère Madame amie, par l’espoir de vous revoir pendant la petite station que vous projetez de faire à Paris. Nous y serons très probablement à l’époque que vous désignez. Vous serez ensuite rappelée, indépendamment du plaisir de retrouver votre monde (qui doit difficilement se passe de vous) pour les préparations intéressantes qui précèdent la première communion de votre petite-fille Marie[9]. Il y a là pour vous et ses parents un événement bien attachant et important en perspective. Ici chère bonne Madame, rien de bien marquant dans notre intérieur. Ma fille[10] est comme vous l’avez vue mieux moralement en apparence qu’en réalité. Nous n’avons pas comme vous la raison en partage, et nous sentons davantage les côtés fâcheux de la vie que nous ne savons jouir des avantages qui nous ont été laissés. Nous sommes loin pourtant de ne pas reconnaître les bienfaits de la Providence dans les dons qu’elle a départis à notre Suzanne dont la santé jusqu’à présent ne laisse rien à désirer et chez laquelle il s’est révélé comme intelligence des dispositions qui nous surprennent quelquefois ; elle va atteindre ses 16 ans à la fin de ce mois ; vous voyez que nous sommes loin encore heureusement des idées de mariage et puis, je vous avoue bien que, n’osant plus regarder dans l’avenir, à tort ou à raison, je tâche de m’étourdir un peu sur tout ce qui s’éloigne du présent, c’est peut-être un peu d’égoïsme ; ma santé d’ailleurs me laisse peu à désirer et je m’apercevrais à peine des années si mes jambes n’étaient pas rétives à la marche : mais en me disant que je pourrais avoir de véritables infirmités je remercie Dieu chaque jour de me garder la santé.

Voici bien chère Madame et amie un petit bulletin assez allongé de nos personnes, votre bonne amitié ne s’en plaindra pas et voudra bien recevoir la tendre expression de mes meilleurs et plus affectueux sentiments avec prière d’en faire une part au ménage de vos enfants[11].

Bien à vous

Suzette de Tarlé

Je m’aperçois que je ne vous ai rien dit de la bonne Clémentine[12] qui sera très sensible à votre souvenir, elle a été et reste bien affligée de la perte de notre pauvre amie Élisa.


Notes

  1. Suzanne de Carondelet, veuve d’Antoine de Tarlé.
  2. Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
  3. Élisa Ghiselain décédée le 10 décembre 1876 à Versailles.
  4. Anatole Dunoyer, époux de Jeanne Rocquet.
  5. Léon Duméril va épouser Marie Stackler.
  6. Félix Soleil, l’époux d’Adèle Duméril, a été nommé en 1876 à Flers dans l’Orne, où Eugénie Duméril les a suivis.
  7. Louis Daniel Constant Duméril, époux de Félicité Duméril (sœur d’Eugénie Duméril). Leur fille Caroline, épouse de Charles Mertzdorff est morte en 1862.
  8. Charles Auguste Duméril, père de Paul Duméril.
  9. Marie Soleil.
  10. Antoinette de Tarlé, veuve de de Gilbert puis de Béranger de Milhau et mère de Suzanne de Milhau.
  11. La famille Soleil.
  12. Clémentine Dumaine.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Vendredi 12 janvier 1877. Dernière lettre de Suzanne de Carondelet, veuve d’Antoine de Tarlé (Paris), à son amie Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril (Flers dans l’Orne). Lettre copiée (et commentée) par Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_12_janvier_1877&oldid=52375 (accédée le 15 novembre 2024).

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