Dimanche 3 septembre 1871
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)
Dimanche 3h
Ma chère petite Gla,
J'ai bien reçu la lettre que tu m'as écrite de Montmorency il y a 8 jours, et je veux profiter aussi de mon Dimanche pour te répondre. Comme toi je ressens tellement les mêmes impressions sur les grandes et les petites choses qu'on éprouve un réel plaisir à se communiquer ses pensées d'autant plus qu'on sait que ça ne va pas plus loin.
Je comprends tous tes tourments d'organisation, et je serai bien contente de savoir comment tu vas finir par pouvoir ramener ton monde à la marche ordinaire ; car avec tant de personnes toujours chez toi tu ne peux te départir de l'autorité et il faut bien que les choses soient faites ; ce n'est pas ta faute, et dans le cas où tu es, il est bon quelquefois de parler un peu franchement afin d'éviter ces petites luttes <tapites[2]> qui sont la désolation des maîtresses de maison.
Ici je suis toujours très contente de mes trois[3], le travail se fait admirablement, et je ne crois pas que je découvre rien de caché, mais les mines ne sont pas toujours aimables, on ne cause pas avec moi... enfin tu sais, on souhaite toujours la perfection, elle n'est pas de ce monde, nous ne l'avons pas, et nous la voudrions pour ceux qui nous servent. N'est pas trop exiger, aussi je me répète cela, pour ne pas trop m'ennuyer de tout cela et il est bien naturel que bien des choses <que les ennuient> souvent. Tout marche aussi bien quand Madame n'y est pas, pourquoi faut-il lui rendre compte de tout quand on ne fait rien de mal, que de travailler dans l'intérêt de la maison, et encore par-dessus le marché, il faudrait toujours lui sourire !... Il me semble qu'à leur place je penserais cela, et toi ?
Je suis bien contente qu'Alfred[4] se soit décidé à s'installer dans l'appartement de maman[5]. Que va-t-il faire. C'est préoccupant ; et on ne peut lui donner de conseil.
Plus que jamais je vis avec notre Julien[6] par la pensée, son souvenir est si bon, mais les regrets sont bien poignants... pauvre chéri.
Mes petites filles[7] sont bien. Emilie a eu un peu mal à ses dents de devant aurifiées, ça paraît se passer. Si jeune c'est triste de lui savoir les dents déjà attaquées, je crains que l'or ne tienne pas. Les bains froids lui réussissent parfaitement, elle n'a plus de petites douleurs nulle part et très bonne mine.
Pour Marie on trouve qu'elle a l'épaule droite un peu plus forte et M. Conraux[8] me conseille de lui faire faire des mouvements de bras && dirigés par le maître de gymnastique, avec sa petite sœur, chez moi, bien entendu. Et je pense essayer pendant un mois, ça suffira pour lui faire comprendre l'importance que nous mettons à ce qu'elle se tienne bien. Cette pensée la faisait pleurer ce matin et elle me disait : « Si tante Aglaé était là, elle dirait qu'il ne faut pas ». Elles ont toutes deux pour toi et maman une tendresse toute particulière et une grande confiance.
Tout cela pour toi seule, ce sont des petites choses dont on fait des montagnes inutiles.
Quand penses-tu aller à Launay ? Quand vous y serez, laisse ton monde[9] pêcher toute la journée ; manger les noisettes && c'est Charles[10] et moi qui parlons, et qui t'ordonnons de ne pas te préoccuper pour toutes ces bêtises, vous devez tous jouir si possible de quelque chose, et toi et Alphonse[11] tâcher de vous reposer.
Demain nous faisons la lessive. Mardi 1e leçon de musique avec le maître qui donne les leçons à Wesserling.
Mme Duméril[12] part Mardi pour Chaumont pour 8 jours.
J'espère que maman ne se trouvera pas trop mal de son séjour ici, elle ne peut pas rester seule avec papa[13] à Montmorency pauvre mère. comme elle est encore active et énergique.
Après-demain il n'y aura plus rien à faire ici. Charles cherche ce qu'il va faire de ses ouvriers, car il faut encore un peu les conserver. Après que décidera-t-on ? Tout cela est préoccupant.
Adieu, ma chérie, nous allons emmener les 4 fillettes[14] à la montagne.
Je t'embrasse comme tu sais que je t'aime et Charles et les 2 que tu sais en font autant pour toi et Alphonse.
EM.
Bien des choses à Cécile[15] et un bon baiser à petit Jean.
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil, à situer avant l’arrivée des Desnoyers en Alsace (le 10 septembre).
- ↑ Faut-il comprendre « tapies » ?
- ↑ Probablement Annette (Nanette) la cuisinière, la jeune Thérèse Neeff et Jean.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Julien Desnoyers (†).
- ↑ Emilie et Marie Mertzdorff.
- ↑ François Joseph Conraux, médecin.
- ↑ Aglaé sera à Launay avec ses belles-sœurs Milne-Edwards.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Probablement Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril, dont la fille est à Chaumont.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff et leurs amies Marie et Hélène Berger.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas et mère de Jean Dumas.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 3 septembre 1871. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_3_septembre_1871&oldid=39621 (accédée le 12 octobre 2024).
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