Dimanche 25 mai 1783
Lettre de Jean Charles Nicolas Dumont (Oisemont) à son fils Charles (Paris)
25 mai 1783
Mon ami[1],
Ton voyage t’a servi à te faire connaître les difficultés de trouver de bonnes places et même à obtenir des places qui ne mènent à rien dans des bureaux que tu as toujours regardés avec complaisance et où l’on passe une partie de sa vie à écrire comme des machines. C’est pour avoir une de ces places que Monsieur Devaux[2] a quitté Saint Valéry où il aurait eu, s’il était resté, pour plus de trois mille livres d’emploi suivant ce que m’a dit Monsieur Dubrun, bailli de Saint Valéry[3].
Tu as toujours eu une inconstance pour te choisir un état qui a retardé tes progrès. Tu aurais plus de facilités que beaucoup d’autres pour te faire avocat à Amiens ; bien d’autres jeunes gens désireraient de se trouver dans ta position, et elle ne te plaît pas.
Il faut solliciter les grands, que tu commences à connaître, pour obtenir ce qui pourra bien par la suite ne plus te convenir. N’importe, tu le veux et j’y consens, mais donne-moi le temps de respirer et ne nous entretenons pas perpétuellement là-dessus. Je te jure que je ne cesserais de faire toutes les tentatives et les plus grands efforts possibles, mais aie de la patience.
En attendant, continue à t’occuper de la pratique du droit. L’étude du droit te fortifiera sur le latin que je te conseillerai à chercher à bien posséder. La lecture réitérée des analogies de la langue latine est pour cela un des meilleurs livres que je connaisse. Si tu pouvais convenir avec Monsieur Galhaut ou quelque autre ami de ce genre-là, de parler toujours latin quand vous seriez ensemble, cela vaudrait encore mieux.
Voilà, mon ami, ce qui doit continuer à t’occuper : le droit, la pratique, le latin.
Si le père de Pilon, qui a toujours été un mince sujet, n’avait pas un titre d’avocat, il n’aurait jamais été sous fermier et un bail de six ans lui avait procuré trois cent mille livres (je le sais par lui et par d’autres).
L’étude du droit est la plus importante pour les ambassadeurs et ceux qui leur sont attachés, et l’étude du latin l’est autant, surtout pour ceux qui ne savent pas de langue étrangère. On jouerait un fort sot rôle dans une ambassade, si l’on n’avait pas la ressource de parler latin à des étrangers de toutes les nations avec lesquelles on est dans le cas de se trouver, si l’on ne pouvait pas se faire entendre et s’entretenir avec eux en latin, qui est la langue de convention de tous les pays.
Encore une fois, ne nous entretenons pas perpétuellement là-dessus. Fais de ton côté ce que tu dois faire et sois bien assuré que je ferai du mien tout ce qui conviendra pour te satisfaire.
Tu n’as que vingt-cinq ans, tu es bien, qu’as-tu à demander ? attends avec patience le moment où tu seras mieux. Il faut toujours tel projet que l’on forme, avoir un état qui serve de ressource. C’est le conseil que Jean-Jacques donnait à son Émile[4]. Il voulait qu’il sut le métier de menuisier. Le tien vaut bien celui-là, apprends-le à fond et si après avoir couru le monde, tes désirs n’étaient pas remplis et que tu te trouves obligé de te fixer dans un état, ton titre d’avocat serait ta ressource, soit pour en exercer la profession, soit pour prendre une charge.
Notes
Notice bibliographique
D’après l’extrait publié par Ludovic Damas Froissart, dans André Marie Constant Duméril, médecin et naturaliste, 1774-1860, 1984, p. 8-9.
Pour citer cette page
« Dimanche 25 mai 1783. Lettre de Jean Charles Nicolas Dumont (Oisemont) à son fils Charles (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_25_mai_1783&oldid=60569 (accédée le 21 décembre 2024).
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