Samedi 7 juin 1851

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Londres) à son épouse Eugénie Duméril (Paris)


d’André Auguste Duméril.

Londres 8 Juin[1] 1851.

Je suis bien content, ma chère petite bien aimée, de t’avoir écrit, hier matin, de Southampton, les quelques lignes au crayon qui t’annonçaient mon arrivée en Angleterre, car je n’aurais pas pu le faire dans la journée.

Après avoir parcouru Southampton, qui est une jolie petite ville, et dont l’aspect diffère beaucoup de celui de nos villes françaises, et après avoir visité un magnifique paquebot à vapeur, qui va à Rio de Janeiro, nous[2] sommes partis pour Londres à 3 h ¼, et nous y sommes arrivés à 6 heures. Le pays que traverse le rail-road (chemin de fer) m’a plu, par son aspect riant et la belle culture, quoiqu’il y ait, à quelque distance de Londres, beaucoup de bruyères. Après d’assez longues recherches inutiles, pour trouver de la place dans un hôtel, nous en avons enfin trouvé, dans le beau quartier de Londres. Nous sommes dans un hôtel tout à fait anglais, et non pas à moitié français, comme la Sablonnière[3]. Nous sommes au quatrième étage, mais ici, un 4ème n’est pas plus haut qu’un 3ème : nos deux chambres sont voisines, et nous avons une très belle vue, sur la grande place, près de Charing Cross (papa doit se rappeler tous ces noms), Trafalgar, et voici comment il faut mettre mon adresse :

 Docteur Auguste Duméril
Trafalgar Hôtel
Spring gardens
Trafalgar Square
London.

J’ai déjà vu, quoique l’heure fût un peu avancée, l’énorme mouvement de piétons et de voitures de cette curieuse ville, dont le Regent’s street, le Haymarket, le Quadrant d’Oxford Street, qui sont les belles rues, sont, en effet, d’un aspect grandiose et très beau. Le peu de hauteur des maisons est une des choses qui frappent tout d’abord. Après le dîner, nous avons été nous promener un moment au parc St James, puis passer une heure au théâtre de Haymarket où nous avons entendu l’air final des Diamants de la Couronne[4], traduits en anglais, et un Comic-drama anglais, où les acteurs jouent bien, mais avec cette charge, que l’on aime ici.

Nous nous sommes couchés à 11 heures, un peu fatigués, mais j’étais parfaitement remis. Henri, qui avait eu trois vomissements, le matin, sur le bateau, avait eu encore un peu mal au cœur, dans la journée. Je t’assure que nous avons été peu pris, en comparaison de la plupart des passagers, dont le concert peu ragoûtant, dans la chambre, pendant la nuit, aurait bien pu, par l’exemple, nous être plus fatal.

Nous venons de passer une excellente nuit. Il est 9 heures, nous venons de déjeuner, avec de la viande froide et du café ; nous sommes en très bonne disposition ; nous allons nous mettre en course, pour la Cité. Nous n’allons pas aujourd’hui à l’exposition[5], où le droit d’entrée est, le samedi, de 6 F, et de 1 F 20 c, les autres jours.

Je ne pense pas trouver de lettre de toi, chère petite femme, dans la Cité : si j’en trouvais une, cela me ferait bien plaisir, mais je te le répète, je n’y compte pas. La lettre que tu m’écriras, demain dimanche, m’arrivera lundi. Il faut s’adresser à l’hôtel, comme je te l’ai dit plus haut.

Les usages sont intéressants à étudier. Je me réjouis de ce que j’ai à voir, et compte que nous profiterons bien de notre séjour.

Je n’ai pas besoin de te dire combien, au milieu de ces impressions nouvelles, je pense à ma chère petite femme, à son bon petit sourire d’adieu, de jeudi matin, et à ma bonne petite Adèle[6] qui, je l’espère, est bien sage. Je l’embrasse de tout mon cœur, et me rappelle au souvenir affectueux de chacun. Henri me charge de faire ses amitiés. Adieu, ma chère et excellente petite mignonne et mille tendres baisers.

A Aug. Duméril.


Notes

  1. Il s’agit plus probablement du samedi 7 juin.
  2. Auguste Duméril voyage avec son cousin Henri Delaroche, négociant au Havre.
  3. André Marie Constant Duméril, père d’Auguste, en visite à Londres en septembre 1844, était descendu à l’hôtel La Sablonnière, où l’on parle français.
  4. Les Diamants de la couronne, opéra-comique d’Auber, livret de Scribe, créé à Paris en 1841.
  5. La première exposition universelle.
  6. Adèle Duméril, sa fille âgée de 7 ans.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Voyage à Londres, juin 1851 », p. 554-558

Pour citer cette page

« Samedi 7 juin 1851. Lettre d’Auguste Duméril (Londres) à son épouse Eugénie Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_7_juin_1851&oldid=61348 (accédée le 15 novembre 2024).

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