Samedi 20 février 1796, 1er ventôse an IV

De Une correspondance familiale

Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à son père François Jean Charles Duméril (Amiens)

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n° 93

Paris le 1er Ventôse an IV.

Papa, j’apprends que Duméril[1] va vous écrire ou au moins à la maison par la voie de l’agence des hôpitaux, et je profite de cette occasion pour vous faire passer celle-ci, qui est un peu intéressée, ainsi que vous l’allez voir. Depuis deux mois, je suis absolument sans chapeau, maintenant il est en lambeaux et je n’ose plus le mettre, jusqu’ici je craignais de vous en faire part, vu leur horrible cherté en assignats. Mais plus je retarde pis cela est. Faites tout ce qui dépendra de vous pour me fournir le moyen d’en avoir un autre ; il est de toute impossibilité que je reste sans plus longtemps. J’ai deux ou trois visites essentielles à faire, que je ne puis retarder sans malhonnêteté, que je remets depuis deux ou trois mois. C’est une affaire de 2 000ll assignats ou de 9ll si vous pouvez me gratifier de cette somme. Faites-moi le plaisir d’une part pour me faire jouir plutôt, d’autre part pour éviter le renchérissement successif de faire charger l’argent à la poste, et de m’en donner avis, voilà ma requête.

Duméril, ainsi que vous l’avez appris d’Auguste[2], a terminé avantageusement un marché pour le citoyen Biston. il avait l’espérance d’en être gratifié en numéraire, mais il n’en a reçu qu’une demie pièce de mousseline des Indes, estimée valoir en ce moment 25 000ll assignats.

Nous continuons notre petit ménage et le pot-au-feu tous les quatre jours, avec l’étape[3] que je continue de recevoir. Nous avons eu de l’inquiétude pendant quelques jours sur la manière dont nous pourvoirions au pain dont la distribution devait cesser dans les sections. mais un arrêté prévoit que chaque employé recevrait sa livre. Aujourd’hui l’arrêté du Directoire est suspendu dit-on, pour un mois, et nous continuerons de recevoir le pain d’Auguste. Quant à moi j’étais indécis, il y a une quinzaine, si je ne préférais pas les 18 000ll de ma place aux 3 000ll et l’étape qui me sont allouées. pour le moment je dois attendre jusqu’à ce que je vois quelles seront les mesures que prendra le gouvernement pour assurer ici les subsistances.

Rappelez je vous prie à Désarbret[4] qu’il m’a promis du papier, et que je le prie de saisir la première occasion pour me le faire parvenir. Le Citoyen Fourcroy recommence aujourd’hui son cours de chimie, il le continuera tous les primidi et septidi.

Les malveillants font ici courir le bruit d’une émeute Prochaine. on n’y croit pas. au reste, s’il y avait quelque chose, nous ne vous laisserions pas dans l’inquiétude. On a dû Brûler ici hier les Planches, Poinçons, merrains etc. qui ont servi à la Fabrication des assignats[5].

On cherche à discréditer le nouveau Papier monnaie en faisant courir le bruit que les Rescriptions perdent déjà 30 pour %. on attribue ce bruit-là aux agioteurs qui sont toujours en aussi grand nombre.

Auguste et moi vous embrassons ainsi que toute la famille.

Votre fils Constant.


Notes

  1. Jean Charles Antoine dit Duméril, frère d’André Marie Constant Duméril.
  2. Auguste Duméril l’aîné, frère d’André Marie Constant.
  3. D’après Littré « étape » désigne, notamment, les « fournitures de vivres, de fourrages qu’on fait aux troupes qui sont en route ». On peut recevoir son étape en argent.
  4. Joseph Marie Fidèle dit Désarbret, frère d’André Marie Constant Duméril.
  5. Pour en finir avec les assignats, le Directoire a recours à un emprunt forcé (décembre 1795) et procède solennellement à la destruction de la planche aux assignats (19 février 1796). Mais la crise financière continue sous le Directoire.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 2ème volume, p. 23-25)

Annexe

Au citoyen Duméril

Juge de Paix

Rue Remy N° 4804

A Amiens

Pour citer cette page

« Samedi 20 février 1796, 1er ventôse an IV. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à son père François Jean Charles Duméril (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_20_f%C3%A9vrier_1796,_1er_vent%C3%B4se_an_IV&oldid=35452 (accédée le 2 décembre 2024).

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