Mercredi 22 août 1883

De Une correspondance familiale

Lettre de Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas (Bex, en Suisse) à Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville


Fs1883-08-22 pages1-4-Cécile Dumas.jpg Fs1883-08-22 pages2-3-Cécile Dumas.jpg


Grand Hôtel des Salines. Bex[1]. 22 Août

C[2]

Ma chère Marie, je suis tout à fait imbécile, il fait une chaleur accablante, tu connais ces températures d’étuve que l’on ressent dans un entonnoir chauffé toute la journée par un ardent soleil & depuis ce matin où je suis mélancoliquement réfugiée dans ma chambre pour éviter les moustiques du dehors, 3 pianos, oui 3 pianos, glapissent à la fois lançant par les fenêtres ouvertes des torrents de cacophonie. Ces choses-là devraient être défendues & tout est gâté, le plus beau ciel, les plus belles montagnes par cet agacement permanent. La pays est pourtant bien joli & si ce n’était ce monde petit & grand grouillant & se démenant je crois que je l’apprécierais fort. mais plus je vais, moins j’aime cet apprêté, ce convenu qu’on retrouve partout & toujours le même. Il y a nombre d’enfants ici, c’est la meilleure chose, & leurs jeunes mères, blanches, roses ou Maïs agitent leurs petites croupes factices (pardonne-moi) en se promenant sur les pelouses à l’abri d’ombrelles éclatantes & avec de jolis mouvements d’oiseaux effarouchés. Ce serait très gentil à l’opéra-Comique ; au milieu de la Nature vraie, c’est moins à sa place & parfois cela prête à rire.

Je voulais te répondre depuis bien des jours, mais j’ai eu beaucoup de lettres à écrire en arrivant ici & parfois aussi la Paresse me prend & ne me lâche plus de la journée. Ce matin la glace a été rompue entre Jean[3] & quelques jouvenceaux de son âge, aussi trouve-t-il l’existence beaucoup moins sombre & le Croquet un jeu très attrayant, mais il ne se décide jamais à parler le 1er ce qui fait qu’on le choisit & qu’il ne choisit pas, du reste le cas échéant il n’y avait pas d’inconvénients. Je suis bien aise qu’il se soit un peu dégelé car la pêche est à peu près impossible & comme les promenades sont rendues difficiles par la chaleur d’abord & le traitement ensuite il se serait ennuyé plus qu’il n’est bon de le faire. Il prend un bain le matin & une douche le soir, tout cela accompagné de vigoureuses frictions, j’espère qu’il en retirera quelque bien. Je foule aux pieds toutes les règles & je mets le nom de ta fille[4] sur l’adresse de ma lettre, il y a longtemps déjà que Baby était heureux de recevoir quelque chose avec son nom. Hélas ! comme le moment du mariage d’Émilie[5] approche, il faut se dire & se redire qu’elle est contente pour prendre ton parti de la voir s’en aller.

Adieu ma chère enfant, mes amitiés à ton mari[6] & si Mme de Fréville[7] est avec vous rappelle-moi je te prie à son aimable souvenir.

C.M.E. Dumas


Notes

  1. Bex, station thermale du Valais (Suisse), très prisée dès 1823.
  2. Monogramme.
  3. Son fils, Jean Dumas, 18 ans.
  4. Jeanne de Fréville.
  5. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie, épousera Damas Froissart en septembre et quittera Paris.
  6. Marcel de Fréville.
  7. Sophie Villermé, veuve d'Ernest de Fréville, belle-mère de Marie.

Notice bibliographique

D'après l'original.

Pour citer cette page

« Mercredi 22 août 1883. Lettre de Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas (Bex, en Suisse) à Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_22_ao%C3%BBt_1883&oldid=56864 (accédée le 18 décembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.