Mardi 12 juillet 1796, 24 messidor an IV

De Une correspondance familiale

Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à sa mère Rosalie Duval (Amiens)

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n°96

Paris le 24 Messidor an IV

Maman,

Si j'osais user de représailles ! oh non je craindrais le qu'en-dira-t-on ? Il faut pourtant vous le mander ; sera-ce assez de vous dire que nous nous ennuyons bien fort de ne pas recevoir de vos nouvelles ; vous ne sentirez pas le quart de ce que nous éprouvons. vous nous aviez cependant promis que si nous étions bien obéissants vous nous écririez au moins à l'un de nous, toutes les décades. qu'est-ce qui a rompu le marché ? Ne répondez pas à cette question-là ; je suis déjà fâché de vous l'avoir faite.

mais ne voilà t'il pas que j'ai pris une grande feuille de papier et que je me trouve n'avoir rien à vous dire. Ah qu'il vaut bien mieux se parler de près que de loin. Ne croyez-vous pas comme moi que l'amitié a beaucoup plus de plaisir à communiquer de la première manière que de la seconde. Sous peu, j'espère jouir de tous les charmes qu'elle peut offrir. Je compte toujours faire ce voyage au commencement de Thermidor.

Le temps est ici des plus mauvais ; il n'a fait que Pleuvoir et venter depuis 15 jours. Il y a des années qu'on n'a vu, à pareille époque, la moisson aussi peu avancée. Car, quoique nous ayons quelques degrés de plus qu'à Amiens, la vigne est à peine nouée. Le vin a augmenté, cela va sans dire, cela nous est égal, nous n'avons pas beaucoup d'occasions d'en acheter.

Les Finances Républicaines vont à peu près comme le temps. La grande Résolution, suite du long comité secret du conseil des 500, au lieu de Remonter le crédit des mandats, l'a fait tomber davantage.

Ils se sont livrés hier sur place à 6 livres 10 sous le %. Cependant nous ne recevons que des mandats dont on ne veut qu'à raison de 30 capitaux pour un en assignats. Et quand vous voulez acheter une livre de cerises on la vend deux sols et demi ou 100 livres. Jugez comme nous pouvons faire les beaux garçons ! Nous sommes donc obligés de vendre directement notre Papier pour du numéraire, c'est ce que nous avons fait deux fois ; la 1ère à raison de 9ll et la seconde de 7ll 10 sols pour %. Auguste[1] a part à l'indemnité accordée par la loi, mais pour moi cette loi ne me regarde pas parce que je reçois l'étape[2]. Je n'ai donc que mes 166ll par mois.

Je suis absolument sans bas ; tous les miens sont presque sans Pieds. J'en aurais grand Besoin ainsi qu'Auguste, de quelques paires de neufs. Si vous pouviez nous en tricoter prenez le soin de ne pas faire aussi large le bas de la jambe. Presque tous mes bas font à cet endroit-là une très laide grimace et on dit que c'est laid.

Les ports de lettre ne sont pas encore augmentés ; tant qu'ils ne seront qu'à 5ll, c'est-à-dire à moins d'un liard vous pourrez nous les adresser directement. Dans le cas contraire, à Auguste sous le couvert de l'Agence, ou à moi sous celui de Dumont[3] que je continue de voir et souvent.

Je vous embrasse ainsi que Papa[4] et toute la famille en particulier

Votre fils Constant Duméril.

L'étourdi que je suis ; j'ouvre ma lettre pour vous apprendre ce que j'avais uniquement en but en vous écrivant. On nous a annoncé en payant notre terme que si nous ne payons le suivant au cours en mandats de 200ll par an en numéraire, on nous donnerait congé. Or comme nous ne sommes pas dans cette louable intention notre propriétaire nous verra partir sans doute et nous sommes à la recherche d'un logement.

Je vous embrasse derechef sans vous répéter combien je vous aime.


Notes

  1. Auguste Duméril l’aîné, frère d’André Marie Constant.
  2. D’après Littré « étape » désigne, notamment, les « fournitures de vivres, de fourrages qu’on fait aux troupes qui sont en route ». On peut recevoir son étape en argent.
  3. Probablement Charles Dumont de Sainte-Croix (la lettre du 15 mai 1796 signale qu’il peut faire passer des lettres).
  4. François Jean Charles Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 2ème volume, p. 31-32)

Annexe

À la Citoyenne Duméril Épouse du Citoyen Duméril juge de Paix

Rue Remy n° 4804

A Amiens

Pour citer cette page

« Mardi 12 juillet 1796, 24 messidor an IV. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à sa mère Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_12_juillet_1796,_24_messidor_an_IV&oldid=40675 (accédée le 21 novembre 2024).

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