Lundi 3 février 1919
Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)
3 Février 19
Enfin, mon cher Louis, on peut t’écrire avec quelque chance qu’une lettre t’arrivera un jour… celle du 29 Janvier par laquelle tu nous donnes ton adresse nous parvient seulement aujourd’hui.
Tes beaux jours paraissent finis, mon pauvre ! Après avoir été la coqueluche des jeunes filles de Molsheim dans le joli encadrement d’un paysage alsacien, te voilà dans un village en briques maussades où l’on ne songe plus à danser et où l’on ne peut plus chasser ! quel contraste. Le souvenir de tes jeunes danseuses te fera vivre avec cet agréable passé, et la perspective pas trop lointaine d’une permission t’empêchera d’entrevoir l’avenir sous un jour triste. Tu trouveras grande réunion rue de Sèvres. Les Degroote[1] y sont au complet depuis Mercredi (c’est une répétition pour le cas où tu n’aurais pas reçu mes deux dernières lettres). Nous trouvons les enfants en général (à part Odile qui perce ses grosses dents) transformés physiquement d’abord, très enforcis et grandis, et très développés au point de vue intellectuel. Chez Geogeo surtout les progrès sont très marqués. Toi qui ne l’as pas vu depuis longtemps, tu trouveras sûrement un grand changement dans sa petite personne toujours bien gentille.
Si tu n’as pas reçu mes deux dernières lettres, tu ne connais pas encore le désastre de ta licence ! un vrai naufrage. Il ne peut être question de te faire bénéficier des avantages de la loi parce que tu as essayé de te repasser l’examen en 1915[2]. Si tu étais resté sur ton échec de 1914 cela eût marché fort bien. Pierre[3] se trouve rester, comme toi, à la porte mais c’est tout le contraire parce qu’il ne s’est pas représenté en 1914 ! Il s’en moque, mais pour toi c’est vraiment dommage. On donnerait, paraît-il, de grandes facilités pour passer les examens manqués pendant la guerre, mais c’eût été plus simple d’être reçu sans examen. Michel[4] reste donc seul à bénéficier de l’avantage. Au fond il vaut mieux que ce soit lui le privilégié.
Nous avons été hier soir, avec les Degroote, Pierre et A.[5] voir au théâtre Antoine[6] le Marchand de Venise, le Shylock de Shakespeare. Très joli et tout à fait pour jeune fille, mais maintenant les jeunes filles lisent et entendent tout, c’est très commode. Samedi nous avons eu tous les de Fréville[7] à dîner, saut les de M.[8] que je tenais surtout à avoir. Françoise était justement grippée, mais pour un jour seulement. Mais ne soyons pas méchants ! Ce soir nous avons les de Place[9], demain matin les Parenty de Douai[10], demain soir les Caruel[11] et Mercredi Pierre et A. s’en vont.
Je t’embrasse tendrement, mon bon petit.
Emy
Notes
- ↑ Henri Degroote, son épouse Lucie Froissart, leurs cinq enfants (Anne Marie, Georges-Geogeo, Geneviève, Odile, Yves) et leurs domestiques.
- ↑ Voir la lettre du secrétaire de la Faculté des Lettres du 27 janvier.
- ↑ Pierre Froissart, frère de Louis.
- ↑ Michel Froissart, frère de Louis.
- ↑ Pierre Froissart et sa fiancée Antoinette Daum.
- ↑ Le théâtre Antoine, sur le boulevard de Sébastopol, inauguré en 1866, est dirigé à la fin du siècle par André Antoine.
- ↑ Marie Mertzdorff, veuve de Marcel de Fréville, et ses enfants.
- ↑ Fernand de Miribel et son épouse Françoise de Fréville.
- ↑ Guy de Place et son épouse Hélène Duméril (et leurs 3 enfants ?).
- ↑ Henri Parenty et son épouse Madeleine Decoster.
- ↑ Armand Caruel et son épouse, Louise Marie Dumas-Milne-Edwards (et leurs enfants ?).
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 3 février 1919. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_3_f%C3%A9vrier_1919&oldid=52689 (accédée le 21 novembre 2024).
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