Lundi 27 janvier 1919 (A)
Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)
27 Janvier 19
Mon cher Louis,
Ta lettre du 24, par [ ], nous est arrivée avant-hier soir, celle du 20 hier seulement. Tu as donc quitté l’hospitalier village d’Avolsheim et te voilà au Nord de Strasbourg. Ce qui est le plus ennuyeux ce sont les changements survenus dans la Division ; te voilà privé de la compagnie de de Solages[1] ! je le regrette bien pour toi, mais sans doute ne tardera-t-il pas à être démobilisé et tu l’aurais perdu de toute façon.
Ton papa[2] est navré de la lettre qu’il vient de recevoir de la Faculté des Lettres et dont je t’envoie la copie. Que faire ? se résigner sans doute. Quel malheur que tu te sois présenté en 1915 ! Ton papa s’en veut de t’y avoir poussé. Vas-tu recommencer à travailler pour réparer cet échec ? C’est un grave problème que de savoir ce que tu feras !
Permets-moi en la circonstance de t’envoyer mes sincères condoléances. Tu n’as pas autant de chance que tes frères. Et Pierre[3] paraît demeurer si indifférent à son titre de licencié de Droit !
Il mène en ce moment une existence si heureuse qu’il ne désire ni ne cherche rien de mieux[4]. Sais-tu que son CA[5] a repris garnison à Epinal et que c’est là qu’il attendra la Démobilisation. C’est bien près de Nancy et pas loin non plus de Vieux-Thann. Il est logé chez une Mme Vogelweith qui est la cousine d’Hélène de Place[6], veuve malheureusement de fait de la guerre. Elle a pour belle-sœur Yvonne Aubry[7], la fille aînée d’Hortense[8] chez qui Pierre trouvera certainement aussi un très aimable accueil.
On dirait que tes nouveaux gants fourrés te font plus amèrement regretter la perte de leurs aînés ! tes mignonnes petites menottes se seraient accommodées de l’augmentation de la fourrure en peau de lièvre ! Cela me fait penser par une association d’idées que tu comprendras aux malheureux Lamorlette que nous avons reçus à déjeuner Samedi. Le Commandant plus sourd que jamais et de plus en plus difficile à vivre pour sa femme et sa fille sur lesquelles il exerce une véritable tyrannie et celles-ci faisant des prodiges d’économies pour arriver à vivre avec la pauvre retraite. Quand le loyer est payé il reste 8 F par jour pour vivre à trois, se nourrir, s’habiller, se chauffer… La fille voudrait bien travailler, elle a déjà essayé, mais elle a si peu de santé qu’il est presque impossible de lui trouver une occupation qui ne dépasse pas ses forces ! nous allons essayer encore, car vraiment c’est un problème insoluble que d’arriver à vivre dans ces conditions avec le renchérissement constant de toutes choses.
Je t’embrasse très tendrement, pauvre licencié manqué et je t’envoie les condoléances vraiment émues de ton papa.
Emy
Nous attendons les Jacques[9] Mercredi matin et les Degroote[10] Mercredi soir. Pierre et A.[11] restent jusqu’à Lundi ou Mardi. Nous avons Samedi tous les de Fréville à dîner pour faire faire la connaissance d’Antoinette.
Nous avons des amis à déjeuner ou dîner presque tous les jours : ce soir Liautey, Bellanger, Armand Lille, hier M. l’Abbé[12] et les Co[13], Samedi soir Armand[14], Souty et Max[15] qui avait aussi déjeuné avec nous se rendant à son dépôt au Havre.
Laure[16] a dû le remplacer à Bamières. T’ai-je dit qu’ils sont allés Max, Gab. et Laure[17] à Cagnicourt dont il ne reste presque plus rien ? Nous avons eu toute la semaine dernière M. l’Abbé Porterat qui avait convoyé les bagages de son poste aéro au Bourget et les avait perdus.
Notes
- ↑ Probablement Thibaut de Solages.
- ↑ Damas Froissart.
- ↑ Pierre Froissart, frère de Louis.
- ↑ Pierre Froissart va épouser Antoinette Daum de Nancy.
- ↑ CA : corps d’armée.
- ↑ Hélène Duméril, épouse de Guy de Place.
- ↑ Yvonne Aubry, épouse de Paul Vogelweith.
- ↑ Hortense Duval, épouse de Marcel Aubry.
- ↑ Jacques Froissart, son épouse Elise Vandame et leurs trois fils : Jacques Damas, Marc et Claude Froissart.
- ↑ Henri Degroote, son épouse Lucie Froissart et leurs cinq enfants : Anne Marie, Georges, Geneviève, Odile et Yves Degroote.
- ↑ Pierre Froissart et sa fiancée Antoinette Daum.
- ↑ L’abbé Marcel Pératé.
- ↑ La famille de Maxence de Colleville.
- ↑ Armand Caruel.
- ↑ Maximilien Froissart.
- ↑ Laure Froissart, veuve de Jules Legentil.
- ↑ Maximilien Froissart et ses deux sœurs : Gabrielle épouse d’Albert Tréca et Laure.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 27 janvier 1919 (A). Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_27_janvier_1919_(A)&oldid=60384 (accédée le 21 novembre 2024).
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