Lundi 23 novembre 1795, 2 frimaire an IV
Lettre d’Auguste Duméril l’aîné (Paris) à sa mère Rosalie Duval (Amiens)
Le 2 Frimaire 4e année République
Ma chère mère,
Vous donner de nos nouvelles est un plaisir qui ne peut être mis en parallèle qu'avec celui que vous éprouvez à vous entretenir avec nous.
Nous avons été très flattés d'apprendre que mon père[1] avait été continué dans ses fonctions. Il est beau d'être encore aujourd'hui ce qu'on a été au commencement de la Révolution.
La direction des messageries est encore une des places que Désarbret[2] remplirait honorablement. Aussi s'il ne s'agissait que de voir des personnes franches et loyales il n'est aucune démarche que nous ne fissions pour la lui faire obtenir ; mais quant à moi je ne me sens pas le courage d'être encore une fois la dupe de ces gens qui, se faisant beaucoup valoir, se disent vos amis et n'agissent souvent qu'après avoir consulté leur intérêt personnel. Vous verrez, peut-être, le citoyen Delecloy à son retour de Doullens, rappelez-lui la parole qu'il a donnée ici à mon père. Je crois que cette place, comme presque toutes, est à la nomination du pouvoir exécutif, qui ne peut destituer que sur un rapport préalable de l'administration des messageries.
Duméril[3] s'est enfin déterminé à travailler. Il est l'un des rédacteurs d'un journal intitulé Le Spectateur, dont le 1er N° doit paraître dans le courant de cette décade-ci. Il m'en parla la dernière fois que je le vis, il y a 5 à 6 jours, je ne crus pas devoir l'interroger ni sur le nombre de feuillets qui paraîtra par décade, ni sur les noms de ses collaborateurs. Il est probable qu'il vous enverra ce journal.
Constant[4] vous a accusé la réception du pain et de ce qu'il contenait, il est inutile de vous en parler si ce n'est pour vous en faire en mon particulier mes remerciements. Cent écus que vous nous auriez envoyés n'eussent pas valu pour nous ce présent. Hier pour la 3e fois depuis 8 jours nous n'avons pas reçu de pain de la section.
Si vous pouviez faire passer une paire de souliers à Constant vous lui rendriez un grand service ; il est absolument sans et ils valent ici 330ll quoique très mauvais. Je viens de faire mettre des semelles à mes bottes qui m'ont coûté 300ll. J'ai vendu les tiges que ma sœur[5] m'a cédées à Amiens moyennant 100ll 1200ll. Cette somme me servira à rembourser l'emprunt que j'ai été obligé de faire tant pour payer le drap que je ne recevrai que le 8 du mois prochain que pour vivre jusqu'aujourd’hui. Nous sommes sans bois. Si je trouve une occasion favorable de me défaire de mes 10 aunes 1/3 de toile de coton je la saisirai et en emploierai le prix à m'en procurer une voie qui vaut actuellement 2000ll. Voilà à quoi en sont réduits tous les employés, ils se défont de tout ce qu'ils ont pour vivre. Les ouvriers ne sont pas aussi à plaindre, ceux employés par le gouvernement reçoivent 50ll par jour plus une livre et demie de pain. Les journées de ceux employés par les particuliers sont de 100 et 150ll. Ainsi vous voyez que ce ne sont pas toujours ceux qui crient le plus haut qui souffrent davantage. Adieu, ma chère mère, je vous embrasse ainsi que mon père et mes frères et sœurs. Si par hasard vous pouviez, sans vous gêner, nous faire encore passer un pain, je vous prie, pour ne pas donner de prise à la jalousie de nous l'adresser au bureau des diligences, en nous marquant le jour de son arrivée ici ; nous l'irons prendre.
Notes
Notice bibliographique
D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 2ème volume, p. 20-23). Cette page d'Auguste est jointe à la lettre de la veille d’André Marie Constant Duméril (document 1795-14)
Pour citer cette page
« Lundi 23 novembre 1795, 2 frimaire an IV. Lettre d’Auguste Duméril l’aîné (Paris) à sa mère Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_23_novembre_1795,_2_frimaire_an_IV&oldid=40415 (accédée le 21 décembre 2024).
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