Voir la source de Dimanche 5 et lundi 6 mars 1871


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__NOTOC__
<span class="letter-subtitle">Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)</span>



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[[Vieux-Thann et Thann (Haut-Rhin)|Vieux-Thann]]<sup><ref>Lettre sur papier deuil.</ref></sup>

Dimanche 5 Mars 71

Ma chère petite Gla,

Combien la lettre que tu m'as écrite Dimanche dernier m'a fait plaisir, au moins je t'ai retrouvée, j'ai pu te suivre dans tes pensées, dans ta vie. Eh bien, nous sommes tristes, notre douleur est la même, notre but le même, partageons donc tout cela en nous écrivant et en nous répétant que le souvenir de l'être chéri que nous avons perdu, sera encore un lien de plus p<sup>our</sup> resserrer entre nous tous, notre affection<sup><ref>Leur frère Julien [[Desnoyers, Jules (1800-1887) et ses descendants|Desnoyers]] est mort en janvier, au [[Le fort d’Issy et les combats de 1870-1871|fort d'Issy]].</ref></sup>.

Maman<sup><ref>Jeanne [[Target, Jeanne (1805-1882) et ses proches|Target]], épouse de Jules [[Desnoyers, Jules (1800-1887) et ses descendants|Desnoyers]].</ref></sup> est vraiment bien bonne de m'écrire comme elle le fait, je ne saurais assez lui dire combien ses bonnes paroles me sont précieuses ; je me répète les pensées courageuses et profondément chrétiennes qu'elle exprime si bien et qui viennent adoucir un peu son profond chagrin. En effet il n'y a que cette confiance qui soulage. Figure-toi que je me surprends souvent à causer avec lui, notre Julien, je dis un petit mot à son cher portrait... cela soulage.

Je suis forcément distraite tant par mes occupations (qui ne sont cependant pas aussi nombreuses que les tiennes) mais surtout par mes chères petites filles<sup><ref>Marie et Emilie [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]].</ref></sup> avec lesquelles il faut causer, rire, s'associer à leurs petites joies, elles qui comprennent et partagent tous les regrets que tous donnent au cher et aimé oncle Julien ; mais le cœur ne se distrait pas et c'est de notre bonne mère dont je suis occupée, c'est elle que j'ai toujours devant les yeux ; nous parlons souvent d'elle, je la vois courageuse, mais sa tristesse est si profonde, et si partagée de tous ceux qui ont connu son Julien que le temps ne fera qu'augmenter nos regrets.

Nous voudrions pouvoir être de suite tous 4 autour de nos bons parents, mais les voyages sont encore trop difficiles et on dit qu'il serait imprudent, p<sup>our</sup> ceux qui n'ont pas habité Paris pendant le siège d'y arriver de suite. M. [[Bonnard, Eugène (1837-1895), son épouse Elisabeth Mertzdorff (1840-1919) et leurs proches|Bonnard]] n'a pas encore permis à sa femme<sup><ref>Elisabeth [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]], épouse d’Eugène [[Bonnard, Eugène (1837-1895), son épouse Elisabeth Mertzdorff (1840-1919) et leurs proches|Bonnard]] et mère de Charles et Pierre [[Bonnard, Eugène (1837-1895), son épouse Elisabeth Mertzdorff (1840-1919) et leurs proches|Bonnard]].</ref></sup> de ramener ses enfants et son père<sup><ref>Frédéric [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]].</ref></sup> à Paris : je pense cependant que ça ne va pas tarder et qu'alors nous pourrons aussi, avec vos conseils, décider le moment de notre venue.

Je suis heureuse de voir combien ta vie est utile, bien employée, c'est si bon dans ces moments de gr<sup>ande</sup> crise de pouvoir porter qu<sup>elques</sup> adoucissements à tant d'infortunes et tu sais si bien te multiplier, que je t'admire de loin et voudrais t'imiter.

Comme je te l'ai écrit, nous n'avons pas eu de blessés, et tout ce que nous avons fait nous l'avons envoyé en Suisse, à [[Mulhouse|Mulhouse]] &amp; mais maintenant les chaussettes de laine, les bandes &amp; ne me paraissent plus devoir être utiles ; dis-moi donc quelles sont les choses dont tu trouves le placement le plus nécessaire, tant p<sup>our</sup> les convalescents que p<sup>our</sup> les petits enfants, les femmes &amp;. Je serais contente de travailler p<sup>our</sup> toi, je te le porterais en allant v<sup>ous</sup> voir. Ici notre pays a été épargné, nous avons fait l'impossible p<sup>our</sup> conserver les ouvriers, c'est donc vers de plus gr<sup>andes</sup> infortunes qu'il faut porter ce qu'on peut faire encore.

Mais la consternation est profonde, car notre pauvre Alsace paie p<sup>our</sup> jusqu'au jour où elle sera de nouveau le théâtre de qu<sup>elques</sup> luttes terribles. L'histoire nous l'apprend partout.

Je partage la douleur de votre pauvre Louise<sup><ref>Louise [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Milne-Edwards]], veuve de Daniel [[Pavet de Courteille, Daniel (1828-1870) et ses proches|Pavet de Courteille]].</ref></sup>, comme je suis sûre qu'elle partage la nôtre. Son détachement de la terre ma parait bien naturel, mais ses pauvres enfants ! Elle sera mieux dans votre voisinage pouvant v<sup>ous</sup> voir tous et cependant étant chez elle.

J'ai été à Colmar, la semaine dernière ; partout des tristesses et des misères ! Quelle reconnaissance on doit avoir p<sup>our</sup> ses parents<sup><ref>Jeanne [[Target, Jeanne (1805-1882) et ses proches|Target]] et son époux Jules [[Desnoyers, Jules (1800-1887) et ses descendants|Desnoyers]].</ref></sup> quand ils sont ce que sont les nôtres. C'est toi qui les embrasseras encore p<sup>our</sup> moi.

<u>Lundi midi</u>. Hier est arrivée à Charles<sup><ref>Charles [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]], époux d’Eugénie [[Desnoyers, Jules (1800-1887) et ses descendants|Desnoyers]].</ref></sup> une bien bonne lettre d'Alphonse<sup><ref>Alphonse [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Milne-Edwards]], époux d’Aglaé [[Desnoyers, Jules (1800-1887) et ses descendants|Desnoyers]].</ref></sup> du 28<sup><ref>[[Mardi 28 février 1871|Lettre du 28 février]].</ref></sup>. Remercie-le bien de nous avoir écrit. Il est si bon de retrouver dans les siens les mêmes pensées que soi-même on ressent. Tout ce qu'il dit de notre Julien, de notre bonne mère, de toi, de notre malheureuse France, est tellement à l'unisson de nos sentiments ! Dis-lui que plus que jamais nous l'aimons et apprécions tout ce qu'il est et qu'on éprouve tous le besoin de resserrer encore les affections de famille.

10<sup>h</sup> du soir. Aujourd'hui il faisait un temps splendide, au reste comme depuis 15 jours, j'ai emmené toute ma petite jeunesse en y joignant les petites [[Berger, Louis (1829-1898)|Berger]]<sup><ref>Marie et Hélène [[Berger, Louis (1829-1898)|Berger]], amies des petites [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]].</ref></sup> et nous sommes allés à Leimbach à pied, une bonne petite course qui a fait du bien. J'avais à aller à l'école de couture de Leimbach p<sup>our</sup> distribuer les chemises finies. La semaine prochaine j'en ferai autant à Roderen. Je continuerai de même à m'occuper des écoles jusqu'au jour où le français sera supprimé... Et on dit que cela ne tardera pas, déjà à [[Vieux-Thann et Thann (Haut-Rhin)|Thann]] on a fait partir une sœur qui ne savait pas l'allemand. Tous les professeurs du collège de Colmar ont été renvoyés.

Mme [[Floquet, Charles (1828-1896)|Floquet]]<sup><ref>Hortense [[Kestner, Charles (1803-1870) et sa famille|Kestner]], épouse de Charles [[Floquet, Charles (1828-1896)|Floquet]].</ref></sup> est venue me voir ; je souhaite te trouver aussi bonne mine qu'à elle. Elle a aussi eu un de ses parents frappé le 12 Janvier au [[Le fort d’Issy et les combats de 1870-1871|fort d'Issy]]. Que de victimes, que de douleurs. Il semble toujours qu'on rêve, tout cela ne peut être que l'effet d'un épouvantable cauchemar ! mais hélas non, c'est la triste réalité. Et on pourrait tenir à la vie encore ? Cependant quand on est entouré de petite jeunesse, il ne faut pas toujours répéter cela, si tu savais comme mes petites filles cherchent à bien faire, à être sages, à s'appliquer à tous leurs devoirs et cela p<sup>our</sup> me faire plaisir et p<sup>our</sup> un jour retrouver tous ces êtres aimés qu'elles ont déjà vus disparaître<sup><ref>Allusion en particulier à Caroline [[Duméril, François Jean Charles (1733-1823) et ses descendants|Duméril]], mère décédée des petites [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]].</ref></sup>. Tout cela se lit dans leur bon petit cœur, ce sont des natures comme petit Jean<sup><ref>Jean [[Dumas, Ernest Charles Jean Baptiste (1827-1890) et ses descendants|Dumas]].</ref></sup>, aussi Emilie me gronde quand je compare ses petits cousins à son chéri &lt;&gt; de Jean. C'est très amusant ; elles se réjouissent, à la perspective de vous aller voir bientôt, car à moins d'impossibilité, je ne les laisserais pas, elles sont si malheureuses, quand je ne suis pas avec elles, il leur semble alors que c'est fini et qu'elles vont me perdre aussi. Elles vont très bien toutes deux de santé surtout Marie qui n'a plus de malaise.

Ce soir viennent de nous arriver 2 bonnes lettres de maman du 2 Mars. Une p<sup>our</sup> Emilie et une p<sup>our</sup> moi. J'écrirai demain moi-même à cette bonne mère p<sup>our</sup> la remercier ; en attendant porte-lui ce griffonnage, en l'embrassant p<sup>our</sup> moi, comme j'aimerais le faire, je comprends si bien sa tristesse, elle est si naturelle et si vraie.

Ceux qui ont passé par la même épreuve que notre pauvre mère, M<sup>mes</sup> [[Heuchel, Georges (1804-1890) et sa famille|Heuchel]]<sup><ref>Elisabeth [[Schirmer, Elisabeth (1806-1884), épouse de Georges Heuchel, et sa famille|Schirmer]], épouse de Georges [[Heuchel, Georges (1804-1890) et sa famille|Heuchel]] ; son fils Georges Léon est décédé en janvier 1870.</ref></sup>, [[Duméril, François Jean Charles (1733-1823) et ses descendants|Duméril]]<ref>Félicité [[Duméril, François Jean Charles (1733-1823) et ses descendants|Duméril]], mère de Caroline.</ref>, [[Stoecklin, Jean (vers 1816-après 1876) et ses descendants|Stoecklin]]<sup><ref>Elisa [[Heuchel, Georges (1804-1890) et sa famille|Heuchel]], épouse de Jean [[Stoecklin, Jean (vers 1816-après 1876) et ses descendants|Stoecklin]] ; sa fille Elisa Madelaine est décédée en janvier 1870.</ref></sup>, [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]]<ref>Caroline Gasser, épouse de Frédéric [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]] ; sa fille Caroline [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]] est décédée en 1854.</ref> (qui a perdu une fille de 20 ans charmante) disent bien qu'après un certain temps, le courage tombe, et la tristesse devient plus grande, mais qu'ensuite la force morale revient ; les regrets restent toujours aussi vifs, mais il devient possible de s'occuper des choses matérielles ce qui est une distraction nécessaire p<sup>our</sup> notre pauvre nature quand elle est si douloureusement atteinte. Pauvre mère quel admirable exemple de résignation elle nous donne, je ne puis me lasser de le répéter. [[Montmorency|Montmo]][[Montmorency|rency]] va lui donner bien du mal, elle fait bien de faire planter les jardins, au moins qu’ils rapportent des légumes. J'espère qu'elle voudra bien, et vous tous aussi venir encore dans notre pauvre Alsace. De chez nous on ne voit rien, et on est de suite en montagne.

Dans ma maison rien de changé, je suis toujours contente de mon monde qui fait tout ce qu'il peut p<sup>our</sup> bien faire, et il y a beaucoup d'ouvrage. Je n'en dirai pas autant du jardinier<sup><ref>Possiblement Gustave, jardinier chez les [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]].</ref></sup>, dont le plus grand mérite est dans sa langue, quand il sera possible, nous prendrons q<sup>uelque</sup> chose de moins savant, et nous le remercierons, il s'en doute et fait l'empressé, c'est un républicain de l'espèce des partageux. Inutile de parler de cela à M. Houllet<sup><ref>R. Houllet est chef des serres du [[Muséum, Jardin des Plantes, Jardin du roi, Cabinet d’Histoire naturelle du roi|Jardin des plantes]] à Paris.</ref></sup> qui a fait ce qu'il a pu et a cru, comme nous, que nous avions une perle ; nous tâcherons d'avoir q<sup>uel</sup>qu'un du pays quant le moment sera venu. C'est un détail, on est si indifférent à toutes ces choses. La famille, et ceux qui souffrent il n'y a plus que cela qui intéresse. Réponds-moi si les chemises p<sup>our</sup> blessés, ou p<sup>our</sup> femmes, petits enfants seraient les bien venues ?

Adieu, ma Gla, embrasse bien papa, maman, Alfred<sup><ref>Alfred [[Desnoyers, Jules (1800-1887) et ses descendants|Desnoyers]].</ref></sup> et ton cher mari de la part de nous quatre et garde p<sup>our</sup> toi mes tendresses

Eugénie

Mes amitiés à Cécile [[Dumas, Ernest Charles Jean Baptiste (1827-1890) et ses descendants|Dumas]]<sup><ref>Cécile [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Milne-Edwards]], épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste [[Dumas, Ernest Charles Jean Baptiste (1827-1890) et ses descendants|Dumas]].</ref></sup> et à M<sup>me</sup> [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Trézel]]<sup><ref>Probablement la veuve du général Camille Alphonse [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Trézel]].</ref></sup>.

Écris-moi comme ta dernière lettre tu m'as fait bien plaisir.

Un petit mot à Estelle<sup><ref>Estelle, domestique chez les [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Milne-Edwards]].</ref></sup> de ma part, [[Besançon, Cécile (née vers 1830)|Cécile]]<sup><ref>[[Besançon, Cécile (née vers 1830)|Cécile]], bonne des petites [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]].</ref></sup> lui souhaite le bonjour, la pauvre fille n'a pas de nouvelle de ses parents depuis Septembre, son village, près de Belfort, a été en partie détruit.

Quel magnifique clair de lune, quel beau ciel, on voudrait toujours voir au-delà. Pauvre nature il faut s'incliner devant la volonté de Dieu.
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==Notes==
<references />
==Notice bibliographique==
D’après l’original
{{Lettre 
      |id=1871-022 
      |sous-titre=Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) 
      |signataires=Desnoyers (Eugénie – épouse Mertzdorff) 
      |destinataires=Desnoyers (Aglaé – épouse Milne-Edwards) 
      |date de rédaction=6 mars 1871 
      |personnes citées=Duméril (Félicité – épouse Duméril);Desnoyers (Julien);Desnoyers (Jules);Target (Jeanne – épouse Desnoyers);Desnoyers (Alfred);Milne-Edwards (Alphonse);Mertzdorff (Charles);Mertzdorff (Marie – épouse de Fréville);Mertzdorff (Emilie – épouse Froissart);Berger (Marie – épouse Rich);Schirmer (Elisabeth – épouse Heuchel);Gasser (Caroline – épouse Mertzdorff);Milne-Edwards (Cécile – épouse Dumas);Dumas (Jean);Besançon (Cécile);Berger (Hélène – épouse Poinsot);Mertzdorff (Elisabeth – épouse Bonnard);Bonnard (Charles);Houllet (R.);Mertzdorff (Frédéric);Pavet de Courteille (enfant);? (Gustave), jardinier chez les Mertzdorff;? (Estelle), domestique chez les Milne-Edwards;Heuchel (Elisa – épouse Stoecklin);Kestner (Hortense – épouse Floquet);Bonnard (Pierre);Milne-Edwards (Louise – épouse Pavet de Courteille);Bonnard (Eugène);Duméril (Caroline – épouse Mertzdorff);Lemire (Auguste Maxence – épouse Trézel) 
      |lieux cités=Paris;Vieux-Thann 
      }}