Voir la source de Vendredi 3 et samedi 4 décembre 1875

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<span class="letter-subtitle">Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)</span>


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Paris le 3 Décembre 1875.

Mon Père chéri,

Me voilà enfin un petit moment avec toi ce qui ne m’est pas arrivé depuis longtemps et dont je te demande bien pardon. Mais vois-tu mon petit papa j’ai énormément à faire en ce moment d’autant plus que les examens<ref>Marie assiste aux épreuves (publiques) au Luxembourg.</ref> vont finir et que nous voulons encore profiter des derniers jours nous y avons passé toute notre journée d’hier de midi à 5<sup>h</sup> ¼ nous y retournerons probablement demain encore puis ce sera fini jusqu’à la prochaine session où alors nous irons pour notre propre compte. Et toi mon petit père bien-aimé que deviens-tu ? Chaque jour nous attendons une lettre de toi, mais depuis q<sup>uelque</sup> temps elles deviennent assez rares. Serais-tu souffrant ou fatigué ou bien as-tu des ennuis ? Si tu savais combien je brûle d’avoir des détails sur la façon dont marchent toutes tes affaires de déménagements ainsi que sur le parti pris par b<sup>on</sup>-papa et b<sup>onne</sup>-maman<ref>Louis Daniel Constant [[Duméril, François Jean Charles (1733-1823) et ses descendants|Duméril]] et son épouse Félicité [[Duméril, François Jean Charles (1733-1823) et ses descendants|Duméril]].</ref>. Je t’assure que je fais bien souvent la route de Paris à [[Vieux-Thann et Thann (Haut-Rhin)|Vieux-Thann]] et que je voudrais bien être avec toi.

Nous avons en ce moment un vrai temps d’hiver, il neige sans cesse et tout est blanc autour de nous ; nous n’avons plus que 3 ou 4 degrés au-dessous de zéro ce qui n’est pas trop chaud mais ne nous empêche pas de faire toutes nos petites courses à pied. En ce moment-ci tante<ref>Aglaé [[Desnoyers, Jules (1800-1887) et ses descendants|Desnoyers]], épouse d’Alphonse [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Milne-Edwards]].</ref> est partie faire des courses car nous devons avoir Mardi un assez grand dîner auquel nous paraîtrons à notre grande gêne ce sera comme tu le penses bien une réunion de savants en l’honneur de M. [[Filhol, Henri (1843-1902)|Filhol]] jeune voyageur qui est parti avec l’expédition de Vénus et qui a fait le tour du monde en rapportant beaucoup de collections.

Je n’ai rien de bien intéressant à te dire depuis Mercredi jour où Emilie<ref>Emilie [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]], sœur de Marie (dite « Mumele » ou « Fournichon »).</ref> t’a écrit. Le [[Cours des dames Boblet|cours]] s’est très bien passé nous avons commencé les fleuves avec M<sup>lle </sup>[[Kleinhans, Caroline (1851 ?-après 1900)|Kleinhans]] et cette semaine nous avons à faire un immense tableau sur le cours de la Seine. Nous avons eu ensuite notre professeur d’écriture<ref>Le professeur d’écriture est possiblement M. Boussiard.</ref> seulement ce pauvre M. arrive toujours d’une gr<sup>ande</sup> ½ heure en retard ce qui fait que je ne puis jamais rester jusqu’au bout. Mercredi il nous a causé de violents fous rires que nous n’avons pour ainsi dire pas pu comprimer. Je ne sais pourquoi, mais les leçons d’écriture et de danse<ref>Le professeur de danse est Emile [[Fischer, Emile (actif en 1875)|Fischer]].</ref> portent toujours à l’hilarité. Le rire a donc continué jusqu’au soir ; nous avons commencé à apprendre les lanciers ce qui nous paraît bien amusant.

Mes amies arrivent je te quitte donc un instant mon petit papa mignon et au revoir.

<u>Samedi matin</u>. Qui m’aurait dit hier en te quittant pour recevoir mes amies que je ne finirais pas ma lettre et que ce matin j’aurais bien des choses à te raconter, mon petit père chéri ? Je t’assure qu’alors j’étais bien loin de me douter de l’emploi de notre soirée. Figure-toi que nous étions bien tranquillement à travailler en causant et en riant lorsqu’on m’apporte un petit mot de M<sup>me </sup>[[Buffet, Louis Joseph (1818-1898) et ses proches|Buffet]]<ref>Marie Pauline Louise [[Target, Jeanne (1805-1882) et ses proches|Target]], épouse de Louis Joseph [[Buffet, Louis Joseph (1818-1898) et ses proches|Buffet]].</ref> offrant 4 places pour aller à l’opéra comique voir Haydée<ref>''Haydée ou Le Secret'', opéra-comique en trois actes, livret de Scribe, musique d’Auber, créé en 1847 ; ''Le Chalet'', opéra-comique, livret de Scribe, musique d’Adolphe Adam, 1834.</ref> et le Chalet et en haut duquel oncle<ref>Alphonse [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Milne-Edwards]].</ref> avait écrit : J’ai accepté. Juge de notre joie ! Emilie surtout était dans tous ses états elle n’a pas arrêté un moment de rire avec Paulette<ref>Paule [[Arnould, Paule (1859-1942) et sa famille|Arnould]].</ref> qui comme tu sais est extrêmement gaie et la taquinait beaucoup. Nous sommes parties bien vite à 4 ½ p<sup>our</sup> les reconduire puis nous nous sommes habillées, avons dîné et mon pauvre petit papa est resté dans mon buvard ! Inutile de te dire si nous nous sommes amusées, M<sup>me </sup>[[Buffet, Louis Joseph (1818-1898) et ses proches|Buffet]] avec 2 de ses fils et un jeune ménage vosgien sont venus nous rejoindre et nous avons passé une ravissante soirée. C’était la 1<sup>re</sup> fois que nous entendions chanter ainsi et cela nous a paru très joli, Haydée surtout était charmante ; je ne sais si tu connais cette pièce. La 1<sup>re</sup> scène se passe à Zara, Haydée est l’esclave de l’amiral Lauredan de ?... qui l’a faite captive à Chypre où il vient de s’illustrer ; il va partir p<sup>our</sup> retourner à Venise sa patrie, mais il est fort agité et, dans un rêve (qu’il chante très bien du reste), il explique qu’au jeu (en trichant) il a fait perdre toute la fortune de Donato lequel s’est tué ; lui alors s’est engagé dans des guerres lointaines, il en revient chargé de gloire, mais il va revoir le fils de Donato ; il a préparé une lettre par laquelle il avoue son crime et veut lui restituer sa fortune, il montre cette lettre en rêvant et son capitaine, un affreux traître vient la lui enlever pendant qu’il raconte son histoire. en dormant La 2<sup>e</sup> scène se passe sur le pont du vaisseau où il vient de remporter sa dernière victoire et qui le ramène à Venise, la 3<sup>e</sup> enfin d<sup>ans</sup> un palais de Venise où le conseil des Dix reconnaît sa bravoure et veut le nommer doge, le traître veut tout lui faire perdre mais Haydée le sauve ; le capitaine félon est tué et tu devines le dénouement.<br />
C’était très-joli ; nous sommes rentrés ici à 12 <sup>h</sup> ½ et après une légère collation nous nous sommes fourrées dans nos lits enchantées de notre soirée et pensant beaucoup à notre petit papa qui certes nous croyait depuis longtemps au lit.

O mon père chéri nous avons reçu ce matin ta bonne lettre qui nous fait bien grand plaisir mais qui en même temps me couvre de honte, je ne sais pas en vérité comment j’ai fait pour rester sans si longtemps sans t’écrire ; je t’assure mon petit papa que j’en ai un bien grand regret et je demande bien bien pardon ; ne crois pas que je t’oublie je pense tant et si souvent à toi mon bon petit papa ; ne crois pas non plus p<sup>our</sup> cela que je travaille trop car je t’assure qu’il n’en est rien. J’ai très convenablement à faire et j’y arrive sans me fatiguer nullement car nous nous promenons encore une ou deux heures tous les jours sans compter là-dessus 2 journées prises par les [[Cours des dames Boblet|cours]] où je ne fais que cela ce qui comme tu sais, depuis que les concours n’existent plus, ne me fatiguent pas et 2 journées où nous allons assister aux examens ce qui ne me tue pas comme tu vois ; et comme maintenant nous n’aurons plus cette dernière occupation je crois même que j’aurais trop de temps si nous n’allions pas avoir d’aujourd’hui en 15 notre fameux examen ; tu ne saurais croire combien cela me réjouit ce sera absolument comme le vrai ; nous ferons des compositions écrites, puis 2 examinateurs viendront nous interroger sur tout ce que nous avons appris, cela ne nous intimidera pas puisque ce ne sera pas sérieux, et lorsque ce sera p<sup>our</sup> de bon nous y serons habituées et cela ne nous effrayera plus ; tu sais du reste que je ne m’en suis jamais agitée, et que je m’en fais beaucoup plus un plaisir qu’un ennui. Sois donc bien tranquille mon petit papa bien-aimé et pardonne à ta grande fille qui te demande pardon de tout son cœur et qui ne recommencera plus jamais ; du reste je crois que tu n’as guère perdu en change car les lettres de Mumele sont autrement gentilles que les miennes.

Nous rentrons à l’instant : malgré un petit vent assez froid nous avons été chez M<sup>me </sup>[[Bureau, Édouard (1830-1918) et ses proches|Bureau]]<ref>Marie Decroix épouse d’Édouard [[Bureau, Édouard (1830-1918) et ses proches|Bureau]].</ref> que nous n’avons pas trouvée puis chez M<sup>me </sup>[[Bert, Paul (1833-1886), son épouse Joséphine Clayton et leurs filles|Bert]]<ref>Joséphine Clayton, épouse de Paul [[Bert, Paul (1833-1886), son épouse Joséphine Clayton et leurs filles|Bert]], et mère de Henriette et Pauline (« Papou »).</ref> que nous avons vue ainsi que ses deux petites filles qui sont très gentilles la plus petite a reçu comme Fournichon un surnom elle se nomme Papou. De là nous sommes montées chez b<sup>onne</sup>-maman [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Trézel]]<ref>Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse [[Milne-Edwards, Alphonse (1835-1900), son père Henri, leurs proches et descendants|Trézel]].</ref> qui n’y était pas et où tante a bien vite fourré sa carte sous la porte, enfin chez la vieille M<sup>me</sup> [[Geoffroy Saint-Hilaire, Etienne (1772-1844) et sa famille|Geoffroy]]<ref>Probablement Pauline Brière de Mondétour, veuve d’Etienne [[Geoffroy Saint-Hilaire, Etienne (1772-1844) et sa famille|Geoffroy Saint-Hilaire]], âgée de 90 ans.</ref> que nous désirions beaucoup connaître et que nous avons vue. Tante devait remonter avec nous mais elle avait oublié des truffes et alors elle vient à son gr<sup>and</sup> désespoir de partir chez la mère Bontoux<ref>M<sup>me</sup> Bontoux tenait un célèbre magasin de comestibles, près du Louvre.</ref> ou plutôt ses successeurs.

Maintenant que j’ai bien causé avec toi, mon Père chéri, il ne me reste plus qu’à t’embrasser bien fort bien fort même au risque de devenir toute rouge, et de demander encore bien des fois pardon.

Ta petite pécheresse repentante<br />
Marie [[Mertzdorff, Charles (1818-1883) et sa famille|Mertzdorff]]
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==Notes==
<references />
==Notice bibliographique==
D’après l’original
{{Lettre 
      |id=1875-92 
      |sous-titre=Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) 
      |signataires=Mertzdorff (Marie – épouse de Fréville) 
      |destinataires=Mertzdorff (Charles) 
      |date de rédaction=4 décembre 1875 
      |personnes citées=Duméril (Louis Daniel Constant);Duméril (Félicité – épouse Duméril);Milne-Edwards (Alphonse);Desnoyers (Aglaé – épouse Milne-Edwards);Target (Marie Pauline Louise – épouse Buffet);Mertzdorff (Emilie – épouse Froissart);Brière de Mondétour (Pauline – épouse Geoffroy Saint-Hilaire);Buffet (enfant);Arnould (Paule – épouse Duval);Boussiard (M.);Decroix (Marie – épouse Bureau);Lemire (Auguste Maxence – épouse Trézel);Kleinhans (Caroline);Filhol (Henri);Bontoux (Mme);Clayton (Joséphine – épouse Bert);Bert (Henriette);Bert (Pauline) 
      |lieux cités=Paris;Vieux-Thann 
      }}